Prolongation des centrales nucléaires françaises : une étude confirme une situation préoccupante en matière de sûreté

I. Contexte

En janvier 2020, l’exécutif français a décidé de reporter la décision de construire ou non de nouveaux réacteurs nucléaires EPR en France. Cette décision ne sera pas prise avant le prochain quinquennat, donc pas avant la fin 2022. La mise en service du nouveau réacteur à eau pressurisée de troisième génération de Flamanville doit également être reportée en raison de défauts de construction et de préoccupations massives en matière de sûreté. Cet EPR, qui devait être mis en service courant 2020, devrait désormais l’être en 2024.

Néanmoins, la France prévoit toujours de prolonger la durée d’exploitation de ses réacteurs nucléaires existants de puissance électrique de 900 MégaWatt (MWe), dont les concepts de sûreté remontent aux années 1960 et 1970. Sur les 58 réacteurs nucléaires actuellement exploités en France, 32 réacteurs sont de puissance de 900 MWe. 

La norme actuelle des normes de sûreté des centrales nucléaires est basée sur les conclusions des catastrophes nucléaires de Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima. Les normes de sûreté s’appliquent à la fois aux nouvelles centrales et à celles qui doivent être exploitées au-delà de leur durée de vie initiale. Ces normes de sûreté modernes n’ont pas encore été intégrées dans les concepts de sûreté français pour les réacteurs d’une puissance de 900 MWe concernés.

En France, la durée d’exploitation des centrales nucléaires n’est pas limitée. Un examen de sûreté a lieu tous les dix ans. Cela sert à confirmer un niveau de sûreté existant ou à énumérer des mesures visant à augmenter continuellement le niveau de sûreté. Les réacteurs français de 900 MWe sont amenés à passer leur quatrième réexamen périodique d’ici à 2025, mais répondre aux déficits de sûreté existants est très complexe.

Les eurodéputées Michèle Rivasi et Jutta Paulus ont commandé une étude avec comme objectifs:

  • – d’étudier les exigences de sûreté́ à respecter par les centrales nucléaires de puissance électrique de 900 MWe en France dans le cas où il serait prévu de prolonger leur durée d’exploitation. 
  • – d’évaluer si les mesures d’adaptation nécessaires pour atteindre le niveau de protection requis sont réalisables d’un point de vue pratique, c’est-à-dire dans un délai raisonnable pendant la durée de vie de la centrale nucléaire concernée.

Pour déterminer les exigences de sûreté en fonction de l’état de l’art scientifique et technologique, l’étude tient compte des recommandations de sûreté de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), les exigences européennes (directive européenne sur la sûreté et les « niveaux de sûreté́ de référence pour les réacteurs existants  » publiés par la Western European Nuclear Regulators Association (WENRA)) ainsi que les règles et règlementations nucléaires applicables dans les pays voisins de la France, tels que la Belgique, l’Allemagne, mais aussi la Finlande et évidemment la France elle- même. 

Cette étude « Exigences nécessaires en vue de l’augmentation du niveau de sureté des réacteurs nucléaires de puissance 900 MWe en France dans le cas d’une prolongation de leur durée d’exploitation  » créé par le Prof. Dr.-Ing. habil. Manfred Mertins, Professeur au TH Brandenburg est disponible ici: https://www.jutta-paulus.de/wp-content/uploads/2020/02/EU-Parlament-Studie_final-1.pdf

II. Principales conclusions de l’étude

L’étude examine l’état actuel et les adaptations nécessaires pour accroître la sûreté des réacteurs de 900 MWe par rapport aux exigences de sûreté actuellement applicables dans plusieurs domaines clés liés à la sûreté. D’un point de vue pratique, des déficits majeurs d’une grande importance pour la sûreté ne peuvent pas être évités par des réaménagements dans les domaines importants pour la sûreté:

  • En suivant le principe de sûreté de défense en profondeur, une mise aux normes des installations dans le cas d’ accidents impliquant une fusion du cœur est considérée comme irréalisable sur le plan pratique. 
  • En ce qui concerne la garantie de l’indépendance de chaque circuit de sauvegarde via la séparation stricte des composants électriques et mécaniques, la transposition d’un tel dispositif aux réacteurs de 900 MWe s’annonce complexe d’un point de vue technique et technologique. La suppression des couplages entre les différentes unités afin de garantir l’indépendance de leurs dispositifs de sûreté́ respectifs est indispensable et possible sur le plan pratique, mais elle est techniquement très complexe.
  • Une mise à niveau ayant pour objectif d’augmenter la redondance des systèmes de sûreté est considérée comme irréalisable du point de vue de la proportionnalité́, notamment en raison de l’absence des conditions préalables et nécessaires en termes de construction à l’ajout d’installations supplémentaires. 
  • Une mise aux normes complète en vue de protéger les installations contre les agressions comme les séismes et les inondations, telle que requise actuellement en France et dans le reste du monde, est considérée comme irréalisable sur le plan pratique. 
  • Une mise aux normes des installations contre les chutes d’avion telle que prévue aujourd’hui en France est également considérée comme irréalisable sur le plan pratique. 
  • Pour que les piscines de stockage atteignent le degré de protection requis, la construction d’un nouveau bâtiment est nécessaire afin d’y accueillir la piscine de stockage du combustible usé en dehors de l’enceinte de confinement. 

Forts de ces constatations, les centrales françaises équipées de réacteurs de 900 MWe présentent de graves déficits en matière de sureté́ au regard des exigences françaises et internationales appliquées à l’heure actuelle. En outre, sur le plan pratique, une modernisation de ces centrales ne suffira pas à remédier à ces manquements, dont les conséquences sur la sureté́ sont considérables. 

Sur un plan technique, les centrales nucléaires ont été conçues pour durer 40 ans. En France, cette durée de vie initiale n’est pas une limite en soit. Au-delà, une « maintenance » est réalisée. Il s’agit du « grand carénage », un projet industriel qui vise à assurer aux centrales nucléaires françaises une durée de fonctionnement supérieure à 40 ans.

Dans ce projet, la vérification de la sûreté des composants et des systèmes des centrales qui ne peuvent être remplacés revêt une importance particulière. Leur vieillissement doit être pris en compte. La sûreté doit rester conforme aux normes de sûreté applicables et en cours d’élaboration pendant la durée de la prolongation de la durée d’exploitation prévue. 

En outre, une grande incertitude est soulevée par les événements météorologiques (inondations, fortes pluies, tempêtes, sécheresse, etc.), dont la fréquence et l’intensité vont s’intensifier et s’intensifient déjà par le changement climatique.

Reste à savoir quelles mesures les exploitants français comptent mettre en œuvre pour mettre à niveau les réacteurs de 900 MWe en vue de répondre précisément aux exigences actuelles de sûreté́. Il reste également à voir quelles décisions seront prises par l’autorité française compétente, l’ASN, pour exploiter les réacteurs déficients de 900 MWe au-delà de la durée de vie initiale de 40 ans.

En principe, les centrales nucléaires devraient être mises hors service après le dépassement de leur conception initiale – à savoir après 40 ans. Des exceptions à ce principe ne devraient être faites que si le risque d’exploitation d’une telle centrale est comparable à celui d’une nouvelle centrale nucléaire, conformément à l’état actuel de la science et de la technologie. 

III. Évaluation politique des résultats de l’étude 

Les eurodéputées vertes Jutta Paulus et Michèle Rivasi tirent les conclusions de cette étude alarmante: il est pratiquement impossible d’amener les réacteurs nucléaires français de puissance 900 MWe au niveau de sûreté nécessaire pour continuer à fonctionner. Il ne peut y avoir qu’une seule issue: l’arrêt de tous les réacteurs de 900 MWe!

Le 22 février 2020, l’arrêt de la plus ancienne centrale nucléaire française à Fessenheim, un réacteur de 900 MW, a commencé. C’est le signe d’une nouvelle ère: il est irrationnel de continuer à utiliser l’énergie nucléaire. 

Il faut absolument arrêter la prolongation de la durée d’exploitation des réacteurs nucléaires de 900 MWe.Ces réacteurs obsolètes menacent non seulement le territoire français mais aussi l’Europe entière. Dans un courrier daté du 15 novembre et envoyé à l’autorité Française de sûreté nucléaire, la ministre de l’environnement et le ministre de l’énergie du Luxembourg dénoncent la prolongation de la durée de vie des réacteurs de la central de Cattenom: « Il est hypothétique que l’ASN dispose de moyens efficaces pour faire appliquer effectivement les règles de sûreté sur le site de l’exploitant. Il était également improbable qu’EDF soit financièrement capable d’effectuer toutes les réparations techniques de la centrale nucléaire. « 

En juillet 2019, la Cour européenne de justice a tranché, dans l’affaire de la prolongation de la durée de vie de réacteurs nucléaires belges Doel 1 et 2, qu’une étude d’incidence environnementale et évaluation transfrontalière doivent être réalisées, tant lors de la mise en service des centrales nucléaires que lors de la prolongation de leur durée de vie. Compte tenu des effets potentiels d’un accident nucléaire à l’échelle européenne, nous sommes convaincus que toutes les centrales nucléaires françaises doivent faire l’objet d’une évaluation d’impact environnemental et d’une consultation transfrontalière.

L’énergie nucléaire n’est ni une solution pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, ni une garantie de sécurité énergétique. Avec l’augmentation des vagues de chaleur à l’avenir, l’élévation du niveau des mers, les sécheresses, les inondations et les incendies de forêts, les risques d’exploitation des réacteurs nucléaires augmentent. 

Dans le cadre du Green Deal européen, il ne peut y avoir d’énergie nucléaire. Une première étape a été franchie: les nouvelles règles de l’UE en matière de taxonomie verte excluent les investissements dans les domaines qui présentent des risques importants et à long terme pour les personnes et l’environnement. Cela signifie que l’énergie nucléaire est exclue de la taxonomie de l’UE simplement en raison des centaines de milliers d’années de déchets nucléaires qu’elle produit.

Les États membres de l’UE doivent maintenant assumer leur responsabilité commune : l’objectif premier du traité EURATOM est toujours explicitement de promouvoir l’énergie nucléaire dans l’Union européenne – comme cela a été décidé en 1957. Cette relique de l’euphorie nucléaire des années 1950 doit enfin être abolie. Nous appelons le Conseil européen à convoquer une conférence sur l’avenir d’EURATOM. Le Parlement européen doit être impliqué dans les négociations en tant que représentation directement élue des citoyens européens.

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Par Michèle Rivasi

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