Le QdM – Des parlementaires veulent en finir avec le torpillage des mesures antitabac par les cigarettiers

Article paru dans « Le Quotidien du Médecin »

Tandis que le Programme national de réduction du tabagisme (PNRT) doit être présenté début juillet par Marisol Touraine, un groupe de travail constitués de parlementaires socialistes et écologistes, députés européens (Michèle Rivasi, José Bové) et membres du Comité national contre le tabagisme (CNCT) milite actuellement pour des mesures fortes afin de contrer l’ingérence de l’industrie du tabac dans les politiques publiques.

Il s’agit en premier lieu de renforcer la coordination interministérielle dans la lutte contre le tabagisme car le lobbying du tabac « joue beaucoup avec le morcellement de la gouvernance nationale, notamment entre le ministère de la Santé et Bercy », souligne le député écologiste de l’Hérault, Jean-Louis Roumegas. Souhaité de longue date par les associations, le groupe de travail recommande la création d’un comité interministériel « sortir du tabagisme », sous l’égide du ministre de la Santé. « Un objectif ambitieux », reconnaît volontiers le député socialiste de Haute-Garonne, Gérard Bapt, au regard de la prépondérance historique de Bercy sur ce dossier. Autre volet délicat, celui des conflits d’intérêts entre la sphère publique et les industriels du tabac. « Aujourd’hui à l’Assemblée, le lobbying des cigarettiers est de plus en plus dissimulé mais nous voyons bien d’où arrivent certains débats dans l’Hémicycle », évoque Jean-Louis Roumegas.

Contre le blanchiment moral

Le groupe de travail demande donc au gouvernement de transposer strictement en droit français l’article 5.3 de la convention cadre pour la lutte antitabac (CCLAT) « visant à pénaliser l’ensemble des responsables publiques acceptant des invitations festives » émanant plus ou moins directement des industriels du tabac. Les parlementaires veulent aussi mettre le holà aux actions de mécénat décrites comme « socialement responsables » par les industriels lorsque celles-ci coexistent avec un financement public. « L’infiltration de l’industrie dans la recherche (Institut du cerveau) et dans la culture (financement du Louvre, palais de Tokyo, industrie du cinéma ou télévisuelle financée par le Centre national du cinéma…) est une forme de blanchiment moral incompatible avec le respect de la CCLAT) », considèrent les membres du groupe de travail.

Saisie de l’autorité de concurrence

Pour que l’impact sanitaire et économique des hausses tarifaires des produits du tabac ne soit plus limité par de possibles ententes illicites des fabricants sur les prix, le groupe de travail recommande « la saisie de l’Autorité de la concurrence par le ministère de la Santé ou les Commissions des Affaires économiques de l’Assemblée nationale et du Sénat » afin de statuer sur ces soupçons de pratiques frauduleuses par les industriels. Le groupe de travail propose également de « garantir une traçabilité indépendante » du tabac en mettant en place un système financé par une hausse des droits de consommation, ce qui constituerait « une première » en Europe : « À l’Assemblée, un amendement à la loi de finances rectificative adopté contre l’avis du gouvernement demande que la traçabilité de ces produits ne soit plus confiée à l’industrie du tabac », indique Jean-Louis Roumegas. « L’enjeu est très important : lutter contre le commerce illicite du tabac qui nuit beaucoup aux buralistes mais pas à l’industrie du tabac. Or, il est curieux de voir que l’industrie du tabac qui ne pâtit pas du tout de ce commerce illicite, organise elle-même cette traçabilité », ajoute-t-il.

Optimisation fiscale

Enfin, pour financer un « vrai » fonds de prévention du tabagisme, les parlementaires recommandent de faire contribuer l’industrie du tabac « sur la base des bénéfices réalisés en France et en compensation des coûts du tabagisme pour la société », là aussi par le biais d’une hausse des droits de consommation de l’ordre de 1,25 % qui rapporterait au moins 200 millions d’euros. « Le bénéfice de l’industrie du tabac en France est d’un milliard d’euros par an. Grâce à l’optimisation fiscale, les fabricants ne paient des impôts que sur les 50 millions de profit qu’ils déclarent » par le biais notamment d’un système de sociétés écrans basées à l’étranger, fait remarquer le groupe de travail. À ce titre, une mission d’information de la commission des Finances est depuis peu discrètement menée à l’Assemblée pour faire la lumière sur tout le système de l’optimisation fiscale des cigarettiers. Les auditions non publiques et non ouvertes à la presse donneront lieu à un rapport parlementaire attendu pour la fin du mois de septembre. Outre le PNRT, ce groupe de travail entend aussi porter ses quelques propositions ciblées en perspective de la Stratégie nationale de santé et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2015.

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Par Michèle Rivasi

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