TRIBUNE | Accès aux vaccins et pénurie des médicaments : osons redonner le pouvoir aux politiques publiques

Les contrats passés entre la Commission européenne et les laboratoires pharmaceutiques nous arrivent au compte-goutte. Le secret d’affaires prime sur l’intérêt général. L’Europe a bien fait de coordonner les commandes de vaccins pour les États de l’Union européenne. Mais l’opacité qui entoure ces négociations démontre que la balle est toujours dans le camp des multinationales de la santé.

Courant janvier 2021, j’ai pu me rendre dans une des salles de lecture mises à disposition des députés au Parlement européen pour consulter les contrats de pré-achat de vaccins que la Commission européenne a conclu. J’ai raconté dans le détail ce que j’ai pu apprendre de ces lectures. J’y ai surtout vu que la Commission européenne, forte des 2,85 milliards d’euros d’argent public consentis aux laboratoires avec l’aval du Parlement européen, joue le jeu du secret d’affaires en ne révélant que les parties non financières de ces contrats. 

La transparence comme premier bouclier face au bon vouloir de l’industrie

Qu’un Parlement ne soit pas associé à une négociation de plusieurs milliards d’euros d’argent public pour assurer des vaccins pour toutes et tous, je n’arrive pas à m’y résoudre. Pourquoi la Commission européenne a-t-elle choisi l’opacité de tractations menées derrières des portes closes, au lieu de jouer plus collectif avec des eurodéputé.e.s engagé.e.s à répondre aux attentes des citoyen.ne.s européen.ne.s ?

Le laboratoire anglo-suédois AstraZeneca nous a montré que dans cette relation commerciale déséquilibrée, les laboratoires décident et le pouvoir public subit. L’absence de transparence dans la conduite des négociations prouve que les laboratoires ont pensé d’abord à maximiser leur intérêt et à préserver ceux de leurs actionnaires, tandis que la population et les soignants en sont réduits à tester l’efficacité des vaccins en conditions réelles de vaccination.

Les décisions de Pfizer puis AstraZeneca de ne pas livrer à l’Union européenne les volumes de vaccins commandés ONT confronté l’Union européenne À son manque d’ambition politique. Face à cette pénurie annoncée, réelle ou organisée, l’Union a créé le mécanisme de contrôle des exportations des vaccins produits sur son sol. Malmenée, la Commission européenne a compris l’intérêt de la transparence face aux affirmations parfois strictement mensongères des laboratoires. Après avoir investi des milliards d’euros d’argent public pour assurer la production de ces vaccins sur le sol européen, l’Europe a enfin décidé de se donner les moyens de contrôler les approvisionnements par les laboratoires. Sont-ils en train d’honorer leurs engagements contractuels envers les citoyens européens ? Ou exportent-ils aux pays les plus offrants ? Les rumeurs de négociations unilatérales avec tels ou tel États européens, dans le dos de l’Union européenne font partie des pratiques à vérifier.

Il est clair que la transparence des exportations et la publication des contrats de préachat des vaccins ne suffisent pas. La Commission doit rendre publics les financements européens accordés à chaque firme pharmaceutique, les contributions apportées par ces firmes, les coûts de la recherche mais aussi de la production, les sources de production et d’approvisionnement, le prix des vaccins négociés et les données issues de la recherche clinique. Ce qui pour l’instant n’est pas le cas.

Les bons remèdes pour lutter contre la pénurie

L’Europe a tout misé pour le développement rapide d’un vaccin. Mais personne n’a vraiment anticipé le risque d’apparition de variants ni les difficultés inhérentes à produire en masse dans un contexte oligopolistique, où une poignée de géants pharmaceutiques concentre la réponse à la demande du monde entier. Les labos nous ont vanté la vitesse de production des vaccins à ARN messager, cette nouvelle technologie de vaccins génétiques jamais autorisée chez l’homme jusqu’à maintenant. Désormais, ces mêmes entreprises justifient la lenteur de leur production par des remises à niveau de sites de production ou la pénurie des composants de ces nouveaux vaccins.Faits de multiples composants – jusqu’à 400, les vaccins ARNM comportent plus de 100 entreprises impliquées dans leur production alors que deux molécules synthétiques indispensables à leur fabrication feraient cruellement défaut.

La Commission européenne annonce la création d’une task force pour renforcer la production de vaccins en Europe. Chapeauté par le super-Commissaire à l’industrie et au digital Thierry Breton, ce groupe de travail reprend les remèdes identifiés mais pas encore mis en place en 2020 pour répondre au problème général de pénurie des médicaments que rencontre l’Europe : cartographier les sites de production potentiels, relocaliser l’approvisionnement en ingrédients clés et imposer à travers la puissance publique les partenariats nécessaires. La mise en œuvre concrète de ces solutions suppose une volonté politique affirmée.

Les outils mis en place par l’OMS et ses partenaires comme leur dispositif d’accès aux vaccins, appelé COVAX, sont en train d’échouer. Ils manquent non seulement de financements mais aussi des produits de diagnostic, des traitements à distribuer. L’industrie n’honore pas des accords passés avec COVAX, les laboratoires préférant vendre les premières doses de vaccins aux pays les plus offrants. Résultat : les trois quarts des 130 millions de doses déjà mises à disposition sont distribuées dans seulement 10 pays. « Pendant ce temps, 130 pays, totalisant 2,5 milliards de personnes, n’ont toujours pas administré une seule dose » rappelle l’OMS qui déplore ouvertement que les laboratoires qui ont déjà mis les vaccins sur le marché des pays riches ne partagent pas leur technologie et le savoir-faire.

Faire de la lutte anti-COVID un laboratoire de l’accès aux médicaments

Le problème n’est pas seulement l’accès aux doses de vaccins. La plupart des pays du monde luttent désespérément pour sécuriser les ressources pour les tests, les équipements de protection personnelle, l’oxygène nécessaire pour traiter les patients et les médicaments.

N’ajoutons pas des barrières juridiques aux défis techniques et logistiques de la crise sanitaire. La licence obligatoire permet de suspendre les droits de propriété intellectuelle et d’activer la production de vaccins dans de nombreux endroits du globe. L’Union européenne doit lever son opposition à la proposition de l’Afrique du Sud et de l’Inde de mettre en place une dérogation temporaire aux règles de l’OMC portant sur les brevets, secrets commerciaux, droits d’auteur, dessins et modèles industriels en ce qui concerne l’endiguement, la prévention et le traitement du COVID-19.

L’industrie, pour garder la main et maximiser ses profits, pousse, elle, à l’usage de la licence volontaire, c’est à dire au fait de vendre à d’autres le droit de fabriquer leurs médicaments, à des tarifs ou pour des territoires prédéfinis. Mais ces partenariats volontaires sous contrôle de l’industrie ne marchent pas. Seuls AstraZeneca et Gilead (fabricant du Remdesivir) les ont mis en place jusqu’à aujourd’hui selon des modalités qui ne permettent pas de répondre aux besoins mondiaux. Depuis un an les industriels ont la possibilité de faire des démarches volontaires, l’impasse actuelle atteste que cette stratégie est perdante.

Il est indispensable de briser le monopole des brevets pour libérer l’innovation locale, multiplier les capacités de production de proximité et permettre aux meilleures solutions thérapeutiques d’émerger.Éviter la prolifération de variants vaccino-résistants suppose en effet une diversité de stratégie. De nombreuses options non vaccinales sont explorées autour du monde ; les travaux doivent se poursuivre de façon ouverte afin de permettre les échanges entre scientifiques et d’accélérer les processus de recherche.

L’Union européenne a fait preuve de clairvoyance en proposant de chapeauter les négociations au nom des États européens. Seuls, ils auraient rivalisé d’égoïsme. Souvenons-nous, lors du premier confinement, des livraisons de masques détournés entre pays de l’UE. Mais d’autres remèdes sont nécessaires contre les goulets d’étranglement. La transparence et l’accès aux données, l’indépendance de l’évaluation scientifique sont aussi des ingrédients clés de la souveraineté sanitaire. La lutte contre la pandémie est aussi un combat pour assainir notre démocratie, malade des conflits d’intérêts et des scandales sanitaires à répétition favorisés par l’opacité à tous les niveaux. Osons transformer cette crise de la pandémie en un modèle de gouvernance, véritablement ouvert, flexible, et innovant de la santé publique.

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Par Michèle Rivasi

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