Mon plaidoyer pour les plantes médicinales

Article paru sur Rue 89 : http://www.rue89.com/michele-rivasi/2010/12/14/europe-mon-plaidoyer-pour-les-plantes-medicinales-180673

Les plantes médicinales traditionnelles vont-elles disparaître en Europe le 30 avril 2011 ? En théorie, non. Mais des produits utilisés pour la médecine traditionnelle chinoise ou indienne (ayurvéda), certains compléments alimentaires, et plus largement la filière bio artisanale risquent de faire les frais de la nouvelle donne européenne.

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Deux système parallèles pour les produits à base de plantes

La situation des plantes médicinales en Europe est un véritable imbroglio. Leur usage est réglementé par deux systèmes d’enregistrement distincts :

  • L’un de type pharmaceutique, auprès de l’Agence européenne des médicaments (EMA). C’est cette fameuse directive de 2004 sur les plantes médicinales traditionnelles qui focalise toutes les critiques mais dont la date butoir du 30 avril 2011 concerne en réalité les médicaments traditionnels à base de plantes (abrégé THMPD dans le jargon européen).
  • Le second permet l’enregistrement des plantes en tant que complément alimentaire. Il correspond à un règlement de 2006, dont les allégations de santé sont elles en cours d’évaluation par l’agence européenne des aliments (EFSA).

La grande majorité des fabricants de produits à base de plantes joue sur les deux systèmes. Des lors que l’enregistrement pharmaceutique est devenu trop compliqué, les entreprises ont souvent préféré emprunter la voie des compléments alimentaires pour diffuser leurs produits.

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L’échec d’une directive pleine de bonnes intentions

Plantes, algues, champignons, lichens, utilisés frais ou entiers, coupés ou desséchés, concassés ou pulvérisés. Mais aussi teintures, extraits, huiles essentielles ou jus obtenus par pression… La directive THMPD de 2004 découle au départ d’une bonne intention : simplifier l’enregistrement d’une substance à effet thérapeutique sur la base de son usage traditionnel. Aujourd’hui, force est de constater l’échec de la directive THMPD.

La procédure simplifiée d’enregistrement se révèle horriblement compliquée. La définition du médicament traditionnel à base de plantes suppose un usage depuis au moins trente ans, dont quinze au sein de l’Union européenne.

Le coût et la complexité du dossier d’enregistrement, de l’ordre d’au moins 60 000 euros par produit, est une barrière pour les entreprises soucieuses de se mettre en règle. Autant se préparer à arrêter la fabrication d’un produit, c’est moins compliqué.

Bilan ? Moins de 200 médicaments traditionnels à base de plantes ont été pour l’instant approuvés par l’EMA.

Autre exemple : la liste communautaire des plantes autorisées comprend aujourd’hui 149 plantes, sur les 600 envisagées initialement par la Commission. Le nombre d’espèces de plantes médicinales s’élève à 1 500 en France et à 20 000 dans le monde, rappellent les herboristes. Sans compter les remèdes mélangeant différentes substances. On reste loin du compte.

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Les compléments alimentaires privés d’allégations de santé

Un règlement de 2006, sur les allégations de santé des denrées alimentaires, se trouve au centre d’une féroce polémique. Encore peu médiatisée auprès des consommateurs européens, ces échanges à fleurets mouchetés ont lieu entre la Commission européenne, l’EFSA et les fabricants des compléments alimentaires à base de plantes.

A ce jour, plus de 95% des dossiers d’allégations déposées pour des produits à base de plantes ont reçu un avis négatif de l’EFSA. Trop rigoureuse, calquée sur des procédures propres aux médicaments, l’EFSA prend sa décision sur très peu de données et rejette des allégations pourtant déjà autorisées dans plusieurs pays européens.

Le 27 septembre, la Commission européenne a annoncé sa décision d’ajourner son avis sur les allégations de santé évaluées par l’EFSA, jusqu’à ce qu’un certain nombre de problèmes relatifs aux plantes soient résolus. La Commission est entrée dans une période de réflexion. La situation est bloquée et les passes d’armes ont repris.

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Médecine chinoise et ayurvédique, premières victimes

La situation des plantes médicinales en Europe n’est guère florissante. L’évaluation des compléments alimentaires à base de plantes est pour l’instant suspendue. Et avec la fin du délai de transition de THMPD, au-delà du 30 avril 2011, la vente de plantes non autorisée restera possible, mais sans indication thérapeutique.

Si rien ne change, l’impact de ces deux législations européennes promet d’être dévastateur. Des produits vont disparaître du marché. Des associations tirent la sonnette d’alarme, inquiètes des répercussions sur les substances et préparations à base de plantes utilisées en médecine traditionnelle chinoise ou indienne (ayurvéda).

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Les petites entreprises du bio aussi touchées

Les vraies victimes seront les petites entreprises du secteur. La pleine entrée en vigueur de ces textes va toucher de plein fouet l’ensemble du secteur des médecines naturelles à base de plantes et une bonne partie de l’économie du bio. Dans le seul secteur des compléments alimentaires, la baisse d’activité est estimée à environ 30%.

Cela va aussi varier en fonction des états membres de l’Union européenne, selon leur tradition des plantes médicinales. Chez certains, les autorités demandent d’enregistrer la plante comme médicament. Dans d’autres, la même plante peut être mise sur le marché comme un aliment.

La Cour européenne de justice a rappelé que ce double usage était légal. Il revient finalement aux pays de trancher les litiges au cas par cas, au travers de jugements nationaux. Difficile alors de dégager un véritable consensus européen.

A qui profite la dose ?

Si l’on peut comprendre la nécessité de garantir la qualité des produits et préserver la santé publique, on peut aussi se demander à quoi rime une législation qui impose des conditions si draconiennes et inadaptées que la réalité du terrain ne puisse s’y conformer.

Cela me fait penser aux difficultés rencontrées en France par d’autres plantes, les préparations naturelles peu préoccupantes (pnpp). Bras de fer popularisé sous le nom de la guerre de l’ortie. La situation concrète des plantes médicinales pourrait bien s’en rapprocher.

En faisant à peu près le même type de nuance juridique qu’entre l’ortie et le purin d’ortie, on s’apprête à criminaliser l’usage et la diffusion des savoirs relatifs aux plantes médicinales. Simultanément, la voie des compléments alimentaires est désormais bouchée. Cela montre bien que les carences du double système actuel.

On sent une volonté de museler le secteur des médecines alternatives ou naturelles, en particulier celles liées aux plantes. Résultat, on pose un cadre susceptible de justifier toutes les chasses aux sorcières possibles en matière de plantes, qu’il s’agisse d’un usage traditionnel, commercial ou non.

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8 commentaires
  • L’herboristerie a été éradiquée en France depuis Pétain supprimant un diplôme qui faisait sans doute la part trop belle aux savoirs traditionnels et partagés. (Ce n’est pas le cas dans d’autres pays d’Europe).
    Théoriquement, les pharmaciens sont détenteurs exclusifs de ce savoir très difficile et long à acquérir et très peu rentable. Les plantes sont difficiles à conserver entre autres et seule une longue pratique sur le terrain assure une connaissance fiable.
    Le problème est que d’une part il y a un engouement de plus en plus grand pour tout ce qui est préparations naturelles (donc en théorie un énorme marché) et d’autre part une formation très empirique et hétéroclite. La directive vise à mon sens un but très simple : limiter le nombre de produits pour dans un second temps refiler les parts de marché aussi bien en terme de formation que de production ou fabrication ou distribution à l’industrie pharmaceutique qui fera d’une pierre trois coups : redorer son blason, continuer à s’enrichir en déposant des brevet et criminaliser l’utilisation de la feuille de sauge dans le thé du matin pour ne citer qu’une plante emblématique.
    Lorsqu’on sait comment cette industrie nous empoisonne sans vergogne, il est peu probable qu’elle devienne tout à coup vertueuse avec les plantes, en évitant pesticides et autres douceurs par exemple…
    Une seule solution parallèle : diffuser largement, de bouche à oreille, sans aucune contrepartie financière, tous les savoirs liés aux plantes et préparations naturelles afin de ne pas perdre définitivement cet immense patrimoine culturel.
    C’est exactement ce qu’on fait tous ceux qui au cours des âges ont diffusé la connaissances liée aux simples, la médecine du pauvre.

  • Pourquoi le 30 avril ? La directive entre en vigueur le 1er avril, comme un mauvaise blague, et pas le 30.

  • Bonjour Madame,

    je suis réalisateur de documentaires et je travaille sur un prochain film sur l’Ayurveda. Aussi la question de l’interdiction des plantes médicinales en Europe est préoccupante et pourrait faire l’objet d’un enjeu pour mon film.
    J’habite et travaille à Strasbourg. Pourrions-nous avoir un entretien à ce sujet ?

    Dans l’attente d’une réponse de votre part,

    Sincères salutations,

    Serge FRETTO

  • Et que devient l’herboristerie ?

    Car c’est bien plutôt la médecine occidentale traditionnelle qui est la première touchée.

    Les (petits) producteurs ne sont en effet libres de vendre leurs productions qu’aux entreprises pharmaceutiques modernes : ils n’ont pas le droit de conseiller directement les consommateurs. Il ne s’agit pourtant pas pour les producteurs de faire des diagnostics médicaux, mais de soutenir les gens dans leurs faiblesses.

    A l’heure où l’on nous arrose de « cinq fruits et légumes par jour », ou de « la vitamine C est bon pour cela », eux ne pourraient rien conseiller ?

    A l’heure où les résidus pharmaceutiques ne sont pas arrêtés par les barrières de l’épuration et sont ainsi rejetés dans la nature, eux ne pourraient pas vendre directement leurs produits naturels ?

    A l’heure où l’on découvre les magouilles des firmes autour de médicaments dangereux, eux ne pourraient fournir les malades en produits testés et approuvés par des dizaines, voire des centaines de générations ?

    C’est tout la filière du « médicament » et, au-delà, celle du soin, qu’il faut remanier.

Par Michèle Rivasi

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