Dépêche Reuters – Les actualités en français 15 October 2014 13:34, par Jean-François Rosnoblet et Marion Douet
GARDANNE, Bouches-du-Rhône/PARIS, 15 octobre (Reuters) -L ‘électricien allemand E.ON convertit près de Marseille une vieille centrale à charbon en unité de biomasse, mais ce projet « vert » suscite l’inquiétude d’écologistes qui dénoncent une « monstruosité économique et environnementale ».
Première source d’énergie renouvelable en France, la biomasse est le plus souvent constituée de petites unités d’une dizaine de mégawatts (MW). Gardanne totalisera 150 MW, soit 10% environ de la capacité d’un réacteur nucléaire standard.
Projet pionnier en France, rare en Europe, ce site produira mi-2015 de l’électricité en brûlant du bois en partie importé de l’étranger et ne récupérera pas la chaleur produite, laissant s’échapper plus de la moitié de l’énergie générée.
Sa chaudière engloutira chaque année 850.000 tonnes de bois, prélevées dans un rayon pouvant atteindre jusqu’à 400 kilomètres, ce qui créera, explique E.ON, un débouché pour la filière locale de production de bois destiné à l’énergie.
« La PACA est une grande zone forestière, où il y a peu d’utilisation de cette ressource. Nous allons mobiliser un bois qui n’est pas mobilisé aujourd’hui », déclare à Reuters Stéphane Morel, secrétaire général du groupe en France, précisant que les contrats signés se limitent aujourd’hui à 250 km autour du site.
Les opposants dénoncent un risque de surexploitation de la ressource, rappelant que la filière bois existante est déjà largement sollicitée par l’usine de pâte à papier de Tarascon (Bouches-du-Rhône), qui capte environ 300.000 tonnes par an.
Le député vert de la circonscription de Gardanne, François-Michel Lambert fulmine contre ces volumes « gigantesques ».
« Le projet n’est pas viable économiquement et aura un impact écologique incommensurable sur la première région d’Europe en terme de biodiversité », ajoute l’ancien rapporteur de la mission biomasse à l’Assemblée nationale.
Une crainte renforcée par l’existence d’un autre projet pour 2016 de centrale à Brignoles, dans le département voisin du Var.
CONDAMNÉ À FERMER
Pour assurer son approvisionnement, principal risque de la biomasse comparé aux autres renouvelables, E.ON a notamment conclu un partenariat avec le parc national des Cévennes.
« C’est une colonisation énergétique des Cévennes », dénonce Richard Ladet, du collectif SOS Forêt Cévennes.
Les quantités de bois nécessaires posent ainsi la question du caractère durable du projet, d’autant plus qu’E.ON devra importer environ 40% du bois de l’étranger.
« L’idée est de commencer en partie avec de la biomasse importée sous forme de plaquettes. Ce sera une variable d’ajustement qui va diminuer au fur et à mesure qu’on va construire des filières locales », dit Stéphane Morel, précisant viser 100% de bois local au-delà de 2025 et 400 emplois créés notamment dans l’élagage ou la collecte.
Dans cet ancien bassin minier fortement frappé par la crise, où le chômage atteint 14%, la perspective de préserver aussi une centaine de postes sur l’installation induit une attitude prudente du maire communiste de Gardanne, Roger Méï.
E.ON assure que son projet est d’intérêt public, puisqu’il fournit au Réseau de transport d’électricité (RTE) une production de 150 MW en base, dans une région considérée comme un « îlot énergétique », qui consomme plus qu’elle ne produit.
« Ce projet contribuera à l’équilibre offre-demande dans la région, il n’y a qu’en PACA qu’on pouvait faire une unité seulement électrique », explique Stéphane Morel, ajoutant qu’E.ONa réalisé des conversions similaires au Royaume-Uni et en Suède.
En 2010, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a lancé un appel d’offres pour des projets biomasse, précisant que ceux n’utilisant que l’électricité seraient acceptés en PACA en raison du déficit électrique.
La biomasse, qui représente environ 1.500 MW installés en France, est l’une des priorités du volet renouvelables du projet de loi de transition énergétique, voté mardi à l’Assemblée nationale et présenté comme un marqueur du quinquennat.
« 60% D’ÉNERGIE GÂCHÉE »
Les cinq unités de Gardanne étaient, sans cette nouvelle vie, toutes condamnées à fermer par des directives européennes touchant les centrales à charbon les plus polluantes.
E.ON, qui a remporté l’appel d’offres déposé sur une unité, doit ainsi bénéficier du mécanisme public de soutien aux énergies renouvelables à hauteur de 70 millions d’euros annuels, via le rachat subventionné de l’électricité au tarif préférentiel de 115 euros le megawatt/heure.
« L’absence de valorisation de la chaleur avec une perte de 60%, couplé à la mobilisation de 70 millions d’euros d’argent public par an planifiée sur 20 ans confine au scandale », résume la député européenne EELV Michèle Rivasi, ajoutant à cette liste de griefs le faible rendement de l’unité.
La grande majorité des centrales de biomasse financées par en France fonctionnent en cogénération, c’est à dire qu’on y récupère l’électricité mais aussi la chaleur.
Grâce ce système, l’efficacité énergétique grimpe à 90%, contre environ 30% dans une centrale à combustion classique, qu’on y brûle du charbon, du gaz ou du bois.
L’énergéticien allemand souligne avoir dépensé 100 millions, sur 250 millions d’euros d’investissement, pour améliorer l’efficacité énergétique de l’unité, qui passera de 34% à 41%.
« Nous travaillons sur un projet qui permettrait d’utiliser également la chaleur. Si nous parvenons dans les prochains mois à le conclure l’efficacité énergétique passera à 51% », ajoute Stéphane Morel.
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