Mort de Jacques Servier: les victimes auront quand même leur procès en 2015 (Huffington Post)

Billet publié sur le site du Huffington Post

Jacques Servier n’est plus, mais le procès du Mediator est loin d’être clos. Alors que doit se tenir à la rentrée 2015 le procès du plus grand scandale sanitaire lié aux médicaments en France, je rejoins les propos d’Irène Frachon, lanceuse d’alerte exemplaire, qui s’adressent en premier lieu aux victimes du coupe-faim mortel.

Pas moins de 2100 décès, selon une expertise effectuée dans le cadre d’une enquête judiciaire en avril 2013, et de très nombreuses personnes qui attendaient une condamnation forte de ce chef d’entreprise sans scrupules ainsi qu’une indemnisation qui tarde à venir. Mais Jacques Servier est loin d’être le seul responsable. Un certain nombre d’experts siégeant au sein des agences nationales et européennes du médicament à l’époque où remontent les premiers effets secondaires du Mediator, ont des conflits d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique.

Il a fallu attendre 2011 pour que Jacques Servier soit mis en examen, après avoir honteusement caché aux yeux du monde la dangerosité de son médicament. Entre la commercialisation de ce produit et son retrait du marché en 2009, cinq millions de personnes en France ont pris du Mediator, c’est énorme.

J’ai reçu au Parlement européen des médecins belges qui avaient très tôt donné l’alerte sur les effets secondaires de l’Isoméride, produit cousin du Mediator, appartenant au laboratoire Servier. Dès 1991, Marianne Ewalenko, cardiologue en Belgique et son confrère Docteur Malak, donnent l’alerte, après avoir constaté des valvulopathies chez quelques patientes prenant de l’Isoméride. Le laboratoire Servier est donc prévenu dès 1991 par un signal de pharmacovigilance. Fin 1994, le docteur Xavier Kurz, responsable du centre de pharmacovigilance belge rédige un rapport dans lequel les alertes sur les risques de valvulopathies lancées par ces médecins belges sont minimisées et contestées. L’affaire est donc étouffée. Et jusqu’en 1997, c’est le silence du côté du laboratoire Servier. L’Isoméride est finalement retiré du marché en France et aux États-Unis à la suite d’une alerte outre-Atlantique.

Si les notifications de ces lanceurs d’alerte belges avaient été sérieusement prises en considération, ces médicaments n’auraient pas été commercialisés aux États-Unis et le retrait de l’Isoméride et du Pondéral serait probablement survenu plus tôt en France. Des milliers de patients auraient pu être épargnés d’effets cardiovasculaires indésirables graves. C’est la même chose pour le Mediator, détourné pendant trente ans de son usage initial pour être utilisé comme coupe-faim.

Dès février 2011, j’ai saisi avec ma collègue députée européenne EELV Éva Joly, l’Office européen de lutte antifraude (Olaf), le gendarme chargé des affaires de corruption au sein des institutions européennes, afin qu’il fasse la lumière sur les conflits d’intérêts nationaux ayant pu présider à des décisions ou manques de décisions avantageant le laboratoire Servier. Les représentants de l’Afssaps au sein de l’EMA (Agence européenne du médicament) comme Eric Abadie ou Jean-Michel Alexandre ont sûrement usé de leur influence pour éviter de nuire au laboratoire Servier.

L’influence de ces représentants français de l’Afssaps au sein de l’EMA, dans la gestion de la pharmacovigilance du Mediator a toujours été flagrante. Pourquoi avoir attendu si longtemps pour retirer ce médicament du marché, alors même que des cas de valvulopathies cardiaques étaient signalés? Éric Abadie devait également diligenter une étude, dont les résultats ont été fournis très tard… Alors que le médicament coupe-faim est retiré du marché espagnol en 2003 et italien en 2004, la France est l’un des derniers pays à l’avoir interdit, en novembre 2009. Nous avions à l’époque demandé la démission d’Éric Abadie, car on ne peut pas continuer à diriger un comité d’évaluation des médicaments à usage humain en étant aussi peu indépendant du lobby pharmaceutique… Si Jean-Michel Alexandre et Éric Abadie ont été par la suite mis en examen, c’est aussi grâce à nous. Si nous n’avions pas saisi l’Olaf, il n’y aurait jamais eu l’implication de l’Europe. Or, l’impact de l’Olaf a été très fort. Ça a permis de faire avancer l’Agence européenne du médicament sur les conflits d’intérêts.

Aujourd’hui et depuis quelques mois déjà, l’Olaf a terminé son enquête, mais refuse de nous donner accès aux résultats. Il nous a seulement été précisé que le dossier avait été remis à l’autorité judiciaire française. Et bien que celle-ci fasse son travail, et rapidement! Les victimes doivent avoir accès à la vérité pour pouvoir tourner la page de cette terrible mésaventure médicale.

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Par Michèle Rivasi

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