Merci de continuer à fumer ! (Marianne)

Clotilde Cadu Emmanuel Lévy
8 June 2013
Marianne

L’énième « plan antitabac » n’effraie pas les géants du secteur. Pas plus que la percée fulgurante de l’e-cigarette ou les hausses répétées du prix du paquet. Voici pourquoi.

Vapoteurs, crapoteurs, clopeurs, même combat : tout le monde dehors pour tirer sur sa cigarette électronique ou sa blonde. Comme chaque ministre de la Santé ou presque, Marisol Touraine a présenté fin mai ses mesures pour lutter contre le tabac en France. Et, comme à chaque annonce depuis des années, c’est le fumeur qui est visé. Résultat merveilleux de cette accumulation de contraintes qui pèsent sur eux : leur nombre a augmenté ! Un Français sur trois fume ; 73 000 en meurent chaque année. Au total, le tabac coûte 50 milliards d’euros au bas mot à la société.

« ll est temps de mettre fin à l’indifférence publique et d’apporter enfin une réponse à la hauteur de l’hécatombe, c’est-à-dire un véritable plan de lutte contre le tabagisme », plaide l’ancien député UMP Yves Bur, président de l’Alliance contre le tabac.

L’interdiction de fumer dans les lieux publics – une idée susurrée à l’oreille de Roselyne Bachelot en 2007 par le lobby des cigarettiers -, les photos chocs sur les paquets, les hausses de prix successives, toutes ces mesures drastiques qui ont fait hurler au scandale l’industrie du tabac ne sont en réalité qu’un enfumage de première : le bénéfice des grands cigarettiers n’en a pas été affecté. Ils ont beau se plaindre que chaque augmentation du prix du paquet va les tondre, les actionnaires de ces multinationales voient encore l’Hexagone comme une vache à lait.

Même si Philip Morris, le numéro un mondial, regarde avec gourmandise l’énorme marché chinois, sa filiale française reste l’une des «cinq plus profitables», selon un spécialiste du secteur. Pourtant, les chiffres des cigarettiers donnent à voir un secteur apathique. Avec un chiffre d’affaires légèrement inférieur à 2 milliards d’euros hors taxes, leurs bénéfices culminent aux alentours de 50 millions d’euros, disent-ils. Soit une marge de 2,5 %, à peine de quoi se payer un mégot.

Du coup, leurs impôts sur les sociétés sont tout aussi riquiqui. Regardons de plus près le plus important d’entre eux : Philip Morris, 40 % de part de marché en France. Au plan mondial, le géant, qui a élu domicile en Suisse, réalisait en 2011 un chiffre d’affaires (hors taxes) de 25 milliards d’euros pour un bénéfice net de 11,3 milliards, soit une marge nette de 45 % (18 fois plus qu’en France !). Ramenons ces résultats à l’échelle d’un paquet. Avec un résultat de 15 millions d’euros, chacun paquet siglé Marlboro ou Philip Morris vendu en France rapporterait 1,5 centime… contre 24,3 centimes en moyenne dans le monde, à en croire le rapport annuel du groupe. On comprend mal, dans ces conditions, pourquoi le géant persiste avec un tel rendement à employer 317 personnes dans l’Hexagone.

Malgré la baisse des volumes constatés ces dernières années, la vente de cigarettes dans l’Hexagone demeure un business florissant. Le chiffre d’affaires de Philip Morris y a crû de 18 % en trois ans. En réalité, à l’instar des grands groupes, les cigarettiers pratiquent en toute légalité l’optimisation fiscale. Il est ainsi fort probable que le résultat du secteur, avant que ne jouent les artifices comptables et les paradis fiscaux, flirte avec le milliard, de quoi générer près de 330 millions de recettes fiscales au titre de l’impôt sur les sociétés, 20 fois la facture d’aujourd’hui…

Bercy et l’administration des douanes ferment les yeux, bien trop accros aux 14 milliards de recettes fiscales générées par le tabac… et aux «hospitalités» des producteurs de cigarettes. Et, en la matière, Philip Morris, British American Tobacco et consorts savent se montrer très généreux. En décembre dernier, le Huffington Post détaillait les dépenses des cigarettiers pour divertir nos décideurs – parlementaires, membres des cabinets ministériels, fonctionnaires et journalistes. Pour une loge louée à l’année au Stade de France, comptez 170 000 €. Une place à Roland-Garros, 1 200 €. Les «soirées cinéma» organisées par Japan Tobacco International reviennent en moyenne à 150 € la place, tandis que les déjeuners du Club des parlementaires amateurs de havanes, chapeautés par British American Tobacco, rassemblant une centaine de convives, coûtent 120 € par tête de pipe, cigares inclus.

Une connivence en violation totale de la convention-cadre de lutte antitabac de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), chargée de veiller à ce que «les politiques ne soient pas influencées par les intérêts commerciaux et autres de l’industrie du tabac». « L’industrie du tabac est une pieuvre, elle a des alliés partout », se désole la députée européenne Europe Ecologie-Les Verts (EELV) Michèle Rivasi. Alors que l’Europe travaille sur une nouvelle directive, les lobbies s’activent, s’appuient sur quelques poids lourds de la Commission européenne, qui les reçoivent sans en faire état, comme ils en ont pourtant l’obligation.

Sans un changement radical de politique et la fin de la cogestion du dossier ministère de la Santé-Bercy, les industries du tabac ont encore de beaux jours devant elles et des tas de jeunes non-fumeurs à séduire. Reste que, à partir du moment où un gouvernement osera s’attaquer directement aux cigarettiers et non plus aux clopeurs et aux buralistes, les géants pourraient bien vaciller. Plusieurs dossiers les inquiètent déjà.

Outre la remise en cause de leur optimisation fiscale, mettre fin au système de quasi-entente entre les acteurs du secteur pourrait considérablement affaiblir l’industrie du tabac. En France, les prix des cigarettes ne sont pas fixés par le gouvernement. Tout comme pour l’essence, seules les taxes le sont. Libre aux cigarettiers, comme aux pétroliers, d’établir ensuite leur prix. Pourtant, le fumeur peut observer que tous les prix augmentent le même jour, du même montant. Bref, aucun des cigarettiers n’en profite pour modifier sa politique de prix et essayer de piquer les clients du concurrent.

Une telle pratique, qui dans la téléphonie fut considérée comme une entente de type cartel, n’est pas sanctionnée. En raison d’une perversion du système : pour les besoins d’appréciation des recettes fiscales, l’administration des douanes centralise les prix futurs. Pas besoin donc de se mettre autour d’une table pour s’échanger ces informations hautement sensibles, les douanes font indirectement le boulot.

QUI VEUT LA PEAU DE LA CIGARETTE ÉLECTRONIQUE ?

Avec toujours un coup d’avance, l’industrie du tabac s’est déjà positionnée sur le marché de l’e-cigarette, en rachetant à prix d’or des fabricants de «vapoteuses». L’industrie pharmaceutique n’a pas été aussi clairvoyante et s’inquiète de voir son leadership sur le marché du sevrage tabagique contesté.

Si les ventes de chewing-gums et de patchs ont été dopées par l’interdiction de fumer dans les lieux publics, l’e-cigarette semble déjà lui piquer des parts de marché. Selon les données d’IMS Health, de fin avril 2012, le chiffre d’affaires des produits antitabac vendus en officine atteignait 108,8 millions d’euros (+ 10 % en un an). Fin avril 2013, il n’est plus que de 107,6 millions d’euros. Le marché de la clope électronique pourrait atteindre le même niveau d’ici à la fin de l’année.

« L’industrie pharmaceutique n’aime pas la concurrence », souligne Jean-François Etter*, professeur de santé publique à la faculté de médecine de Genève. L’expert a participé au rapport remis à Marisol Touraine, prônant l’interdiction de l’e-cigarette dans les lieux publics au nom du principe de précaution. Mais il n’a pas souscrit aux conclusions qui «reflètent les opinions des experts, pas les travaux scientifiques». Les auteurs du rapport en question ont, de fait, de nombreux liens d’intérêt et même, pour certains, des contrats de consultants avec les fabricants de substituts nicotiniques.

* Jean-François Etter ne déclare aucun lien d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique et l’industrie du tabac. Il rapporte un lien d’intérêt avec un fabricant d’e-cigarettes et d’e-liquide lui ayant payé un déplacement en Chine et à Londres.

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2 commentaires
  • Les goûts et les couleurs sont dans la nature! Mais…!

    Écraser sa cigarette et dire c’est la dernière!

    Ce pourrait être la solution! Mais pas la plus facile!!!
    La nicotine ne lâche pas prise si facilement, vous le savez bien!
    Moi, je vous propose un moyen :

    – Simple!
    – Qui ne vous coûte rien!*
    – Garantie à 99,9%!

    Mais qui vous demande quand même de participer, pas question de volonté! Mais simplement avoir envie de bannir la fumée de votre vie!

  • Fumer n’est peut-être pas l’idéal pour la santé de chacun, mais il est de la responsabilité du fumeur d’éviter d’enfumer les autres tout en s’adonnant à son plaisir personnel.

Par Michèle Rivasi

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