Comment les nouvelles recommandations de l’ICNIRP sur le rayonnement des champs électromagnétiques de la 5G et des téléphones portables sont influencées par Big Telecom ?

Les nouvelles lignes directrices de l’ICNIRP pour limiter l’exposition des personnes aux champs électromagnétiques (1) publiées en mars de cette année, ont été fortement influencées par les grandes entreprises de télécommunications et même par l’armée américaine. C’est l’une des conclusions du rapport (2) des députés européens Michele Rivasi et Klaus Buchner sur la « Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants » (ICNIRP).

Qu’est-ce que l’ICNIRP ?
La Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP) est une organisation scientifique non gouvernementale (ONG) relativement peu connue mais puissante, basée en Allemagne, qui coopère étroitement avec la Commission européenne et fournit aux États membres de l’UE des seuils d’expositions sur les rayonnements des téléphones portables, du wifi, ect.

Cette organisation privée de droit allemand fournit depuis sa création en 1992 des avis et des conseils scientifiques sur les effets sanitaires et environnementaux des rayonnements non ionisants. L’OMS, la Commission européenne et la plupart des pays utilisent les lignes directrices de l’ICNIRP pour les limites d’exposition aux champs électromagnétiques, publiées depuis 1998.

Depuis près de trois décennies, l’ICNIRP a joué un rôle de premier plan dans le débat scientifique et a fourni des conseils et des orientations largement suivis par les gouvernements du monde entier. L’ICNIRP est cependant une organisation partiale, scientifiquement unilatérale et déséquilibrée, avec de nombreux liens directs avec l’industrie des télécommunications et ses lobbys (3).

Peut-on se fier aux avis de l’ICNIRP ?
Il existe de plus en plus de publications scientifiques qui mettent en évidence les effets néfastes des champs électromagnétiques (CEM) sur la santé. Des études et publications qui restent largement ignorés dans le contexte du déploiement des réseaux 5G. L’ICNIRP est depuis 30 ans une pièce maîtresse des recommandations prônées par l’OMS et la Commission Européenne, c’est pourquoi les députés européens Michèle Rivasi (Europe Écologie Les Verts) et Klaus Buchner (Ökologisch-Demokratische Partei) ont voulu vérifier la crédibilité de cette organisation et l’indépendance de ses membres.

Sur la base des conclusions du rapport, compte tenu des liens étroits et avérés et des conflits d’intérêts de nombreux membres de l’ICNIRP avec l’industrie, nous, députés européens estimons que pour obtenir un avis scientifique réellement indépendant, nous ne pouvons pas nous fier à l’ICNIRP. Une évaluation scientifique européenne plus indépendante est de toute urgence nécessaire et pleinement justifiée.

Un entre-soi complaisant, en contact étroit avec Big Télécoms ?
« Un cercle très fermé de scientifiques partageant les mêmes idées et se désignant eux-mêmes » a transformé l’ICNIRP en un club d’experts complaisants, avec un manque d’expertise médicale et biologique, pouvant conduire à une « vision étriquée ».

Deux experts de premier plan, le professeur Hans Kromhout de l’université d’Utrecht, qui dirige une étude à long terme sur les effets de l’utilisation des téléphones portables sur la santé humaine, et préside d’une commission spéciale sur les champs électromagnétiques du Conseil néerlandais de la santé, et le Dr Chris Portier, ancien directeur du Centre national pour la santé environnementale aux Etats-Unis, confirment dans le rapport que l’ICNIRP est une organisation fermée, non responsable, partiale et unilatérale.

Plusieurs membres de l’ICNIRP sont ou étaient également membres du Comité international sur la sécurité électromagnétique (ICES) de l’Institut des ingénieurs électriciens et électroniciens (IEEE), une organisation de droit américain au sein de laquelle de nombreuses personnes du secteur des télécommunications et de l’énergie ainsi que de l’armée participent activement au processus de prise de décision.

Des recommandations “harmonisées”, écrites main dans la main avec les telecoms ?
En 2016, le président de l’ICNIRP, M. Van Rongen (aujourd’hui coprésident), a invité les membres du ICES à faire part de leurs commentaires sur les nouvelles lignes directrices relatives aux champs HF. L’ICNIRP a pris ces commentaires très au sérieux. En 2017, lors de la réunion annuelle, le président de ICES, Faraone Antonio de « Motorola Solutions », a fièrement annoncé que « l’ICNIRP a retardé la finalisation de ses conclusions pour prendre pleinement en compte les recommandations de l’ICES ». L’ancien employé de Motorola C.K. Chou, qui travaille maintenant comme consultant, a déclaré lors de la même réunion sur l’interaction avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) que « en réponse à C-K Chou, l’OMS a accepté d’encourager l’harmonisation internationale des limites de sécurité des RF, en particulier entre l’ICNIRP et l’ICES ».

Cela démontre clairement que l’ICNIRP a travaillé très étroitement avec l’IEEE/ICES sur la définition des nouvelles lignes directrices de sécurité des radiofréquences publiées cette année. Cela implique que de grandes entreprises de télécommunications comme Motorola et d’autres, ainsi que l’armée américaine, ont eu une influence directe sur les lignes directrices de l’ICNIRP, qui constituent toujours la base des politiques publiques de l’UE dans ce domaine.

Notes :

1) Les lignes directrices de l’ICNIRP pour la limitation de l’exposition aux champs électromagnétiques visent à protéger les personnes exposées à des champs électromagnétiques de radiofréquence (RF) dans la gamme de 100 kHz à 300 GHz. Les lignes directrices couvrent de nombreuses applications telles que les technologies 5G, le WiFi, le Bluetooth, les téléphones mobiles et les stations de base.Cette publication remplace et remplace la partie 100 kHz à 300 GHz des lignes directrices sur les radiofréquences de l’ICNIRP (1998), ainsi que la partie 100 kHz à 10 MHz des lignes directrices sur les basses fréquences de l’ICNIRP (2010).

2) Le rapport est intitulé « La Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants : Conflits d’intérêts, Capture réglementaire et 5G ».

Ce rapport préparé par deux députés européens – Michèle Rivasi (Europe Écologie Les Verts) et Klaus Buchner (Ökologisch-Demokratische Partei) examine le fonctionnement de l’ICNIRP et passe en revue l’activité des 45 membres de la Commission et des Groupes d’experts scientifiques (SEG) de l’ICNIRP, afin de vérifier les éventuelles situations de conflits d’intérêt de ses membres.

3) Bien que le secteur des télécommunications dispose d’un grand pouvoir de lobbying dans l’Union européenne, l’Association européenne des opérateurs de réseaux de télécommunications (ETNO) ne fait pas pression pour abaisser les normes de l’ICNIRP, car celles-ci ne sont pas considérées comme faisant partie de la « pression réglementaire » qui entrave le développement technologique. Au contraire : les normes proposées par l’ICNIRP sont les « limites harmonisées » dont l’ETNO se félicite. Dans l’ensemble, le secteur des télécommunications semble assez satisfait du positionnement de l’ICNIRP. Dans chaque rapport annuel d’une grande entreprise de télécommunications, vous trouverez une référence à l’ICNIRP lorsqu’il s’agit de discuter de la sécurité de leurs téléphones mobiles.




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Par Michèle Rivasi

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