L’ablation des seins d’Angelina Jolie: la vraie-fausse solution? (Huffington Post)

Billet de Michèle Rivasi sur le Huffington Post

CANCER DU SEIN – Le 14 mai 2013 vers 17h, le tribunal correctionnel de Marseille requiert 4 ans de prison ferme à l’encontre de Jean-Claude Mas, le fondateur de l’entreprise Poly Implants Prothèses (PIP) qui a commercialisé les implants mammaires frauduleux. Dix heures plus tôt, le même 14 mai 2013 à 07h17, une dépêche AFP annonce la publication de « mon choix médical », une tribune publiée dans le New York Times, où « l’actrice américaine Angelina Jolie a révélé avoir subi une double mastectomie pour prévenir un risque de cancer ».

Conséquence du scoop planétaire sorti la veille de l’ouverture du festival de Cannes, l’issue du procès PIP est restée inaudible, pour ne pas dire étouffée. C’est donc ainsi que le message « attention aux prothèses mammaires, danger! » a été subrepticement remplacé et précédé par son contraire: « vive la mastectomie préventive qui sauve des vies et des familles! ».

Un service rendu à l’industrie de la prothèse mammaire?

De là à supposer que l’industrie de la prothèse mammaire s’inquiétait des effets collatéraux du procès PIP et avait besoin de se refaire une santé, il n’y a qu’un pas. Car les cancers réservés surtout aux femmes sont un marché plus que porteur et pas seulement pour les prothésistes: n’est-ce pas la multinationale pharmaceutique AstraZeneca -fabricant de médicaments utilisés dans le traitement du cancer du sein comme le Nolvadex, l’Arimidex et le Faslodex- qui a créé le mois de la sensibilisation au cancer du sein en 1985?

En France, l’Agence nationale de sécurité des médicaments (l’ANSM) estime à 500.000 le nombre de femmes -et les hommes?- porteuses d’implants mammaires pour cause de malformation congénitale, reconstruction mammaire ou à des fins esthétiques. Avec une paire de seins par tête, c’est donc au bas mot un million de prothèses qu’il faut compter, à raison de 3000 euros minimum [1] par implant soit 6.000 euros par personne.

Si, comme l’ANSM, l’on estime en France à 70.000 le nombre d’implantations de prothèses mammaires par an, un aperçu de la valeur du marché est vite esquissé: 70.000 implants à 3.000 euros pièce minimum, soit un marché de 210 millions d’euros par an, rien qu’en France.

La prévention oui, mais au profit des patients

Oui, le cancer du sein et le cancer de l’ovaire peuvent tuer et oui, il vaut mieux les prévenir que les guérir. Mais prévention ne doit pas rimer avec ablation, pas à tous les âges et pas à n’importe quel prix. Car ce que s’abstient de mentionner la tribune du New York Times, c’est ce qu’il en coûte en termes de ménopause précoce, d’allaitement, de perte de sensibilité et…. de risques intrinsèquement liés à la qualité de la prothèse elle-même. Mais heureusement pour Angelina Jolie, la Food and Drug Administration (FDA) n’a pas autorisé les prothèses PIP sur le marché étatsunien.

N’en déplaise aux vendeurs de tests de dépistage pour les gènes BRCA1 et BRCA2 -chaque test de la société Myriad utilisé en France coûte 2000 euros aux contributeurs de la Sécurité Sociale, sans compter les coûts d’analyse des résultats- la génétique peut beaucoup mais elle ne peut pas tout.

Et gare aux dérives d’un discours culpabilisant et totalement anxiogène du type « tes (mauvais) gènes coûtent chers à la société ». Pourquoi créer un tel sentiment d’anxiété si ce n’est pour servir les intérêts des industriels spécialistes du dépistage génétique précoce?

Pour rappel, seul 1% des femmes présentent la mutation du gène BRCA1 ou BRCA2. C’est donc que l’épidémie de cancers a d’autres causes. Pour prévenir à grande échelle le développement d’un cancer, il est grand temps que nous nous intéressions aux facteurs de risques collectifs, j’ai nommé les risques environnementaux.

Une épidémie mondiale de cancers

En effet le nombre connu de cancers du sein augmente: est-ce parce que nous vivons plus vieux? Parce que nous savons et voulons mieux les dépister? Parce que les facteurs de risque présents dans notre environnement quotidien se multiplient aussi vite que le prix des biens de (sur)consommation diminue?

Tous les jours, nous sommes au contact permanent de résidus de pesticides dans notre alimentation, de conservateurs dans nos cosmétiques, de bisphénol A dans nos tickets de caisse et nos boîtes de conserve, d’œstrogènes dans nos contraceptifs puis dans l’eau que nous buvons. Tous les jours un nombre important de produits chimiques que nous avons introduits dans l’environnement perturbent le fonctionnement normal de notre système hormonal.

Et justement, le lien entre perturbateurs endocriniens et cancer du sein -mais aussi perte de fertilité masculine- est aujourd’hui de plus en plus étudié. Et justement la France, tout comme la Commission européenne, prépare en ce moment même sa stratégie pour les perturbateurs endocriniens [2]. Alors cette « ablation préventive », toujours aussi sexy?

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[1] Selon les tarifs affichés sur internet par les cabinets chirurgicaux
[2] Michèle Rivasi est membre du groupe de travail chargé d’élaborer cette stratégie nationale

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Par Michèle Rivasi

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