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Pourquoi la France continue-t-elle à appliquer aux sondes d’échographie endocavitaire une procédure de désinfection de niveau bas quand les Etats-Unis, l’Allemagne, le Canada, l’Australie, l’Espagne, la Suisse ou la Turquie ont choisi un niveau supérieur ? Lors d’une conférence de presse donnée lundi 3 juin, à Paris, la députée européenne Michèle Rivasi (Europe Ecologie-Les Verts) devait demander à la ministre de la santé, Marisol Touraine, de revoir cette position.
Il y a urgence. Selon l’une des études présentées lundi, plus de 30 000 hommes et femmes seraient susceptibles, en France, de développer une infection à la suite d’une contamination au cours d’un examen échographique endovaginal, endorectal ou transœsophagien avec une sonde insuffisamment désinfectée. Un paradoxe au moment où le Parlement européen doit examiner un rapport sur la sécurité des patients et la prévention des infections associées aux soins.
L’échographie est devenue un examen courant en médecine. Si dans bon nombre de cas, elle est pratiquée en appliquant la sonde à ultrasons sur la peau, à l’extérieur du corps, la technique est également utilisée en introduisant une sonde adaptée à l’intérieur d’une cavité naturelle pour être au plus près de certains organes. L’échographie endovaginale permet de mieux visualiser l’utérus et les ovaires ; l’introduction d’une sonde dans le rectum affine l’examen du côlon et, chez les hommes, de la prostate. La sonde peut également être placée dans l’œsophage, notamment pour examiner le cœur.
SUJET « PRÉOCCUPANT EN TERMES DE SANTÉ PUBLIQUE »
Jusqu’en 2008, la recommandation officielle indiquait de pratiquer une désinfection de niveau intermédiaire (DNI), qui impose entre deux utilisations chez des personnes différentes, l’immersion de la sonde dans une solution désinfectante, et non une désinfection de niveau bas (DNB). La DNB consiste à utiliser une gaine de protection recouvrant la sonde et de contrôler à l’œil nu après retrait de la gaine s’il existe des salissures. Si ce n’est pas le cas, il suffit de passer une lingette imprégnée d’un produit détergent. Cependant, en 2007, le Comité technique de lutte contre les infections nosocomiales (CTIN), chargé de prévenir ce type de contamination liée aux soins, constatait un écart entre la recommandation d’utiliser la DNI, évidemment plus longue et plus onéreuse que la DNB, et la pratique, en particulier en médecine de ville.
A la suite d’un rapport demandé à un groupe de travail, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) rendait un avis, le 17 octobre 2008, dans lequel, considérant que « le risque individuel d’avoir contracté une infection suite à des actes d’échographie est jugé extrêmement faible par le groupe d’experts », il estimait que l’utilisation d’une gaine avec DNB constitue « une alternative aux procédures de nettoyage et désinfection de niveau intermédiaire telles que recommandées jusqu’alors ». Un avis non partagé par des associations – notamment le Collectif interassociatif sur la santé (CISS) et le Lien (association de lutte contre les infections nosocomiales) – ainsi que par des praticiens et des spécialistes en maladies infectieuses.
Tous s’appuient sur des avis scientifiques pour protester contre cette baisse du niveau d’exigence. Michèle Rivasi ne se prive pas de rappeler la lettre adressée le 22 juillet 2009 à la ministre de la santé Roselyne Bachelot par Jean-Marc Ayrault, à l’époque président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. Dans ce courrier, le futur premier ministre attire l’attention sur la désinfection des sondes, un sujet qui lui paraît « particulièrement préoccupant en termes de santé publique ». Outre la position adoptée par de nombreux pays développés, plusieurs études viennent conforter les défenseurs d’une désinfection renforcée.
PLUSIEURS ÉTUDES FONT ÉTAT DE CONTAMINATIONS
Entourée, entre autres, d’Alain-Michel Ceretti, fondateur du Lien, du professeur Guy Frija, président de la Société européenne de radiologie, et du professeur David Weber (université de Caroline du Nord) auteur du Guide de désinfection des instruments médicaux publié par les Centres de contrôle des maladies américains, Michèle Rivasi devait faire état de plusieurs travaux concordants.
Une étude de l’université de Hongkong sur un petit échantillon de patientes publiée en juillet 2012 sur le site de l’Emergency Medicine Journal indique ainsi que la procédure de protection (avec un préservatif) de la sonde d’échographie endovaginale et spray détergent peut laisser subsister du papillomavirus humain (HPV) dans 21 % des cas. Une équipe lyonnaise a publié, le 25 octobre 2012, dans la revue en ligne Plos One, des résultats indiquant que le HPV était détecté dans 3 % des prélèvements effectués sur la sonde après DNB.
Une étude réalisée au centre hospitalier de Laval (Mayenne), et rendue publique en avril 2012, fait état de perforations sur 11 % des 61 gaines testées et de taux de présence microbienne résiduelle élevés : 70,5 % de contamination malgré la présence d’une gaine et 44 % de contamination persistante malgré une DNB. Tout récemment, le 23 mai, lors d’une réunion scientifique de radiologie, une équipe franco-américaine a fait état d’un « taux substantiel de contamination » sur les sondes endovaginales désinfectées par DNB : le matériel génétique du HPV a été retrouvé sur 13 % des sondes et celui des chlamydiae dans 20 % des échantillons.
« URGENT DE REVENIR À LA SITUATION D’AVANT DÉCEMBRE 2007 »
Une modélisation mathématique du risque infectieux lié aux examens d’échographie endovaginale et endorectale après DNB a été réalisée par une équipe franco-américaine. Le docteur Sandrine Leroy (CHU de Nîmes et de Montpellier) et ses collègues démontrent l’existence d’un « risque réel de transmission infectieuse des pathogènes viraux ou bactériens, attribuables à l’examen lui-même ».
Quatre millions d’examens endocavitaires sont réalisés chaque année en France : selon la modélisation réalisée par l’équipe franco-américaine, ils pourraient se traduire par 63 cas de transmission du VIH, 1 624 du virus de l’hépatite B (VHB), 239 cas du virus de l’hépatite C et à plus de 14 000 les cas de transmission du HPV et du virus de l’herpès.
Forte de tous ces arguments, Michèle Rivasi estime « plus qu’urgent de revenir à la situation d’avant décembre 2007, en rendant de nouveau obligatoire une décontamination de niveau intermédiaire pour les sondes d’échographie rectales et vaginales ».
Paul Benkimoun
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