Sans aller jusqu’à l’assertion de Noël Mamère qualifiant le Sénat de « maison de retraite pour privilégiés de la politique », ou d’Edouard Herriot parlant à son propos d' »Assemblée de notables réactionnaires dont les méfaits sont heureusement compensés par une forte mortalité », on peut s’interroger sur l’utilité et la modernité de cette institution, à la veille des élections sénatoriales du 28 septembre.
Comment défendre une assemblée dont l’élection se fait au scrutin indirect entre « grands électeurs », après une campagne passée au restaurant et à coup de carnets de chèque pour les élus cumulards pratiquant le clientélisme électoral ?
Une crise démocratique aigüe
Certes, la double lecture des textes de lois est défendable pour en améliorer la qualité et permettre un débat pluraliste.
Certaines propositions de lois émanant du Palais du Luxembourg (souvent du groupe des écologistes d’ailleurs) sont innovantes mais la représentation du Sénat s’éloigne de plus en plus des acteurs qui structurent la vie économique, sociale et culturelle des territoires, ce qui en fait l’antre du conservatisme et de l’obstruction législative et sociétale.
La crise démocratique aigüe est caractérisée par une délégitimation et une défiance envers la classe politique, une désespérance des citoyens se réfugiant dans le national-populisme, la peur et le rejet de l’autre.
Aussi, l’émergence de nouvelles formes de gouvernance démocratiques, plus directes et participatives, renforce le ridicule du maintien d’une telle institution. Comme le dit si bien Edgar Morin, on a l’impression que nos dirigeants avancent « comme des somnambules vers la catastrophe ».
Une institution à bout de souffle
La Ve République est devenue un étouffoir démocratique empêchant toute émergence citoyenne et innovation des pratiques démocratiques. Ce régime de concentration et de confusion des pouvoirs fondé sur l’irresponsabilité et l’immunité de son exécutif favorisant son exercice solitaire est à bout de souffle.
Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement de changer de régime comme d’aucuns en appellent, dans un registre bonaparto-gaullien en usant de la fonction tribunicienne, à une VIe République en voulant s’adresser directement au peuple.
Il convient aussi de refonder la République, de reformuler notre pacte républicain hérité des Lumières et de la Révolution en pratiquant un aggiornamento de ses valeurs cardinales.
1. Aider les citoyens à retrouver goût pour la politique
Le premier chantier pour que les citoyens retrouvent de l’appétence pour la chose publique, c’est :
– d’assurer la transparence et la moralisation de la vie publique par un contrôle citoyen renforcé,
– la fin du cumul des mandats,
– la création d’une véritable citoyenneté de résidence avec l’instauration du droit de vote des étrangers aux élections locales,
– la mise en place de l’initiative citoyenne à tous les échelons territoriaux.
2. Instaurer un véritable régime parlementaire
Réformer les institutions et le cadre institutionnel est également prioritaire. L’hyper-présidentialisme avec une assemblée de « godillots » à sa botte doit cesser.
Il faut instaurer un véritable régime parlementaire avec la mise en place généralisée du scrutin proportionnel avec prime majoritaire, et une démocratie régionalisée et délibérative en associant au maximum les citoyens et les corps intermédiaires (associations, syndicats, entreprises, universitaires, artistes…) à la co-élaboration des politiques publiques.
3. Remplacer le Sénat par un Collège du futur
Dans cette perspective, le Sénat doit être remplacé par un Collège du futur dont le philosophe Dominique Bourg a esquissé les contours. Les parlementaires actuels sont tétanisés par la dictature de l’immédiat et de l’opinion. Il n’existe plus d’espace démocratique pour appréhender le temps long et faire face aux défis planétaires à l’instar de la crise climatique.
La deuxième chambre qui est aujourd’hui celle du passé doit devenir la chambre du futur, garante pour les générations futures de nos conditions d’existence, de la paix et de la solidarité entre les personnes et les peuples.
Ce collège du futur sera composé de représentants de la société en mouvement (ONG, syndicats, entreprises, citoyens tirés au sort et formés) et aura un vrai pouvoir d’initiative normative en matière de programmes prospectifs et de lois-cadre notamment.
4. Revisiter nos valeurs républicaines
Pour réenchanter la politique, il faut aussi revisiter nos valeurs républicaines, intégrer les concepts d’autonomie, de transparence, de biens communs et de responsabilité dans la loi fondamentale, entamer une mutation de notre universel républicain vers un mode pluraliste ouvrant la voie à un État social fondé sur des politiques publiques différenciées, équitables, horizontales et territorialisées.
5. Accepter la différence comme une richesse
Il faut sortir de la fiction du citoyen abstrait dépourvu de tout déterminisme (social ou culturel notamment) et accepter la différence comme une richesse et passer de l’égalité formelle à l’égalité réelle.
Régénérer notre imaginaire démocratique et républicain est une nécessité et peut permettre de réaliser la quête d’une république européenne laïque, démocratique, écologique et sociale avec pour horizon indépassable l’universel républicain, ce « projet inachevé des Lumières » dont parle Habermas, dépassant enfin le cadre de l’État-Nation et que l’on retrouve dans la si belle devise de l’Union européenne : « Unis dans la diversité ».
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