Tribune : « Guerre en Ukraine : sanctionnons l’industrie nucléaire russe »

Michèle Rivasi, députée européenne EELV et co-fondatrice de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD), pointe l’interdépendances entre les filières nucléaires russes et françaises et plaide pour des sanctions.

Sa tribune à lire sur le site du Journal du Dimanche ici, ou ci-dessous :

« Outre les énergies fossiles, l’industrie nucléaire russe est un outil important au service de la stratégie géopolitique de Poutine. De nombreux pays en Europe sont dépendants de la Russie pour construire ou prolonger des réacteurs nucléaires : la Biélorussie, la Bulgarie, la Finlande, la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie et la France, dont les interdépendances entre les filières nucléaires françaises et russes sont nombreuses, allant de l’exploitation de l’uranium au traitement des déchets radioactifs.

L’invasion militaire de l’Ukraine, pays fortement nucléarisé, crée un danger sans précédent : 15 réacteurs nucléaires en exploitation sont désormais exposés à de potentiels dommages.  Des lignes électriques importantes permettant d’assurer une capacité de refroidissement constante ont été détériorées par l’armée russe. La chaîne logistique pour l’arrivée des pièces de rechange sur les sites nucléaires ukrainiens est, quant à elle, mise à mal. Les employés de la centrale nucléaire de Zaporijjia, sous contrôle des forces russes, doivent travailler sous la pression et dans le stress. À Tchernobyl, la communication n’est possible que par mail et les membres du personnel technique n’ont pas pu faire de rotation depuis le 23 février, lors de sa prise par les forces russes.

Les affaires sont les affaires

Cela ne semble pas poser de problèmes pour le lobby du nucléaire, en particulier en France, qui a réussi à maintenir cette industrie à l’écart des discussions sur l’embargo concernant les sources d’énergies russes. L’ancien patron d’EDF, Henri Proglio, assure qu’il ne quittera pas son siège au sein du conseil international de Rosatom, géant public russe du secteur nucléaire. L’État français s’apprête à céder 20 % du capital de GEAST (fabricant des turbines Arabelle pour les centrales nucléaires) à Rosatom. En matière de business atomique, la France ignore la guerre.

L’énergie nucléaire échappe ainsi aux sanctions européennes contre la Russie. Or, un embargo sur l’atome civil pourrait se révéler fatal pour Rosatom, cette société d’État créée par le président russe Vladimir Poutine en 2007 et qui représente une source importante de revenus pour le gouvernement de Moscou. Première exportatrice mondiale de centrales nucléaires, Rosatom exploite à la fois les technologies nucléaires civiles et militaires. En 2019, l’entreprise publique russe contrôlait 30 % du marché mondial et travaillait en 2021 à la fabrication de 21 réacteurs dans 12 pays. Un embargo sur le nucléaire ferait probablement perdre tous les contrats en cours de Rosatom.

Un seul scénario possible

Le nucléaire fait partie des grands absents du plan « REPowerEU », la nouvelle stratégie de la Commission européenne pour sortir l’Europe de la dépendance au gaz russe. La présidence française du Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne doivent entendre l’appel du Parlement européen qui, dans sa résolution du 1er mars sur la guerre en Ukraine, invite « les États membres à cesser toute collaboration avec la Russie dans le domaine nucléaire, en particulier la coopération avec Rosatom et ses filiales ».

De surcroît, pour être cohérent, « REPower EU » doit retirer l’acte délégué sur la taxonomie qui inclut le nucléaire et le gaz comme investissements verts. La guerre en Ukraine montre le caractère non durable de ces énergies et nous rappelle l’importance d’assurer notre indépendance énergétique. Il faut mettre fin aux importations de gaz, charbon, pétrole et services nucléaires, qu’ils viennent de Russie ou d’ailleurs. Un seul scénario nous sortira des crises: la sobriété énergétique, l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables. »

Par Michèle Rivasi

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