L’affaire Baupin ou comment en finir avec l’ « exception française » en matière de harcèlement sexuel et de sexisme en politique

S’il faut saluer le courage des femmes qui ont rompu la loi du silence et permis que « la honte change de camp » en libérant la parole sur les agressions sexuelles subies par les femmes, le fait que ces victimes –pourtant féministes- aient longuement hésité avant de dénoncer le harcèlement dont elles ont été la cible doit nous interroger sur les mécanismes internes dans un parti qui ont conduit à cette situation, mais aussi plus globalement sur les rouages de la domination masculine qui continue à sévir, malgré la loi sur la parité dans le champ politique.
Comment en effet, dans un parti ayant été pionnier en matière de lutte contre les discriminations entre les hommes et les femmes, ayant inscrit dans ses statuts la parité dès sa naissance en 1984, tant de femmes ont elles pu minorer et s’autocensurer en enfouissant des faits que l’on ne peut que qualifier d’agressions sexuelles caractérisées ? Comment ont elles pu se résigner à monter des stratégies d’évitement pour éviter leur prédateur ? Comment d’autres, forcément au courant, ont il pu se rendre complice en excusant ces comportements, se disant sûrement par lâcheté que d’autres les prendraient en charge ? Cette coupable négligence collective naît peut être d’une certaine culture libertaire chez les écologistes, valorisant la libéralisation des mœurs sans mettre de barrière franche entre ce qui est permis et proscrit en matière de relations entre les hommes et les femmes (phrase à éviter à mon sens, peu comprise à l’extérieur). D’aucuns ont aussi estimé que si les faits étaient si graves, il y aurait des suites judiciaires. D’autres enfin ont certainement pensé que c’était un acte isolé malgré les rumeurs insistantes..
Il y a aussi une part de retenue chez les victimes toutes militantes ou élues politiques en raison d’une certaine violence symbolique qui s’impose. Une femme politique qui évolue dans un milieu à dominante masculine avec des dinosaures qui sont là depuis des décennies et qui connaissent tous les rouages de l’institution a besoin de montrer qu’elle est forte et non pas d’être vue comme une victime.
Au delà des faits, il y a dans la vie politique française un sexisme ordinaire que l’on ne retrouve pas dans d’autres pays ou au Parlement européen que je fréquente depuis 7 années.
On se souvient de la pique paternaliste et humiliante adressée par l’ancien Ministre de l’économie Arnaud Montebourg à une journaliste : « Elle est toujours comme ça la petite ? » ; mais aussi des caquètements de poule du député UMP Philippe Le Ray à l’encontre de sa consoeure Véronique Massoneau (EELV) ; des quolibets endurés par la Ministre Cécile Duflot au regard de sa robe à fleurs à l’Assemblée en 2012 ; la même année, le député UMP Bernard Debré s’était illustré affirmant à propos de la candidature de Rachida Dati à la présidence de l’UMP. « Je ne suis pas sûr que Vuitton ou Dior ait sa place à ce niveau là ». Enfin, très récemment, Patrick Ollier (ancien Président de l’Assemblée nationale) à eu ce tweet d’un sexisme absolu à propos de la venue de Pamela Anderson dans les locaux du Palais Bourbon pour dénoncer le gavage des oies : « Pas de silicone dans le foie gras. Qu’elle continue à courir. Ca nous rappellera des souvenirs ».
D’un pays à l’autre, il semble que les seuils de tolérance au sexisme soient assez différents.
Pierre Bourdieu dans son ouvrage La domination masculine nous appelait aussi à explorer les structures symboliques de l’inconscient androcentrique qui survit chez les hommes et chez les femmes. Il invitait également les féministes à investir, à côté du champ principal domestique de perpétuation des rapports de domination deux instances fondamentales de reproduction des mécanismes de domination : l’Etat et l’Ecole.
Pour lutter contre l’omerta et pousser les victimes de harcèlement à parler, il apparaît nécessaire que les corps intermédiaires (partis, syndicats, ONG), les entreprises et les administrations se dotent d’instances de type comité d’éthique capable de recevoir, d’écouter et d’orienter les personnes victimes de violences sexuelles qui hésitent souvent à franchir le pas de la plainte pénale.
Il y a aussi nécessité de revoir la durée de prescription des crimes et des délits en matière de violences et de harcèlement sexuel : faire courir la prescription à partir du moment où les faits sont dénoncés ou doubler les délais de prescription à 6 et 20 ans pour le délit de harcèlement sexuel et le crime de viol.
Sur le plan de la réforme institutionnelle, la parité réelle (possible avec l’instauration d’un mode de scrutin binominal pour les législatives) -rappelons qu’il n’y a que 27 % de femmes à l’Assemblée et 25 % au Sénat- et la fin du cumul de mandat (dans le temps notamment) permettra une nouvelle respiration démocratique, un renouvellement, une féminisation et un rajeunissement du personnel politique peut être plus propice à respecter l’égalité des sexes.
Enfin, l’Association Européenne contre les Violences Faites aux Femmes (AVFT) estime qu’il est plus difficile de mettre en cause la responsabilité de l’employeur en France, car «les conseillers prud’hommes sont peu formés à la recherche de la preuve dans ce domaine, et dubitatifs face à la réalité dénoncée par la salariée».
Puisse la parole publique de nos lanceuses d’alerte contre les prédateurs sexuels libérer d’autres femmes victimes de ces violences intolérables et portant atteinte à la dignité humaine et permettre un renforcement de notre arsenal législatif.

Par Michèle Rivasi

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