Discours prononcé à la Convention Enseignement Supérieur et Recherche

Discours prononcé lors de l’ouverture de la Convention Nationale Enseignement Supérieur et Recherche d’EELV, le 1er Octobre 2011 à Lyon.

Le monde que nous connaissons est en constante mutation, une mutation dont la gestion est compliquée par l’accélération du temps de notre société, obsédée par une innovation technologique effrénée.

En 1945, Paul Valéry écrivait : « Le temps du monde fini commence».

Alors qu’il nous était jusque là encore possible d’imaginer de nouveaux ailleurs, la finitude de notre monde et l’épuisement de nos ressources naturelles nous ont frappés brutalement. Nos sociétés se retrouvent désarmées et inquiètes face à un futur qui s’assombrit à chaque nouvelle catastrophe causée par l’homme, qu’elle soit ponctuelle ou permanente.

Si le futur était un mur, nous ne serions pas tous tels des maçons sûrs de leur ouvrage. Non, nous foncerions droit dedans, direction l’inconnue.

Et nos étudiants, et la jeunesse d’Europe et du monde entier, vivent plus que jamais ce malaise ambiant, nés dans ce monde qui étouffe leurs idéaux de liberté, de justice, de connaissance et d’ouverture sur l’avenir. Ce sont pourtant eux nos ressources et leur intelligence, elle, reste infinie. C’est pourquoi nous nous devons de leur donner les clés et les outils nécessaires à l’appropriation des solutions d’aujourd’hui et de demain.

La recherche en ce sens joue un rôle fondamental pour ériger les fondations d’une nouvelle société. C’est pourquoi les recherches qui sont soutenues et financées en priorité aujourd’hui auront un impact décisif sur l’avenir de nos sociétés et de notre planète.

Le changement de paradigme nécessaire est bien évidemment celui que les écologistes tentent de faire comprendre tant aux décideurs qu’aux citoyens, avec un certain succès mais les blocages persistent. Parmi les raisons de notre incapacité à évoluer, nous pouvons donc logiquement souligner le rôle défaillant joué par l’enseignement supérieur et la recherche.

L’avenir de l’humanité dépend dans une large mesure du développement culturel, scientifique et technique, qui se forge lui-même dans les universités. Leur rôle dans la diffusion des connaissances est prépondérant.

Ainsi, l’université doit assurer aux générations futures, sans aucune discrimination, une éducation leur permettant de contribuer au respect des grands équilibres de la vie sur Terre. Et c’est pourquoi elle doit rester une institution autonome qui de façon critique, produit et transmet la culture à travers la recherche et l’enseignement.

Ces principes sont les nôtres, n’est-ce pas ? Et bien sachez que ces idées sont celles des recteurs des plus grandes et plus anciennes universités européennes, qui réunis en 1988 à Bologne imaginaient déjà le rôle futur joué par les universités au sein de l’Union européenne. C’est ainsi qu’ils ont édicté les principes fondamentaux et les moyens nécessaires à la réalisation de ces objectifs, en signant à cette occasion la « Magna Charta Universitatum ».

Et je vais vous surprendre, mais c’est pourtant ce texte qui a préfiguré le fameux processus de Bologne de l’UE en 1999…qui a saboté ces belles idées.

Après des prémices de coopération européenne en matière d’éducation, c’est tout d’abord le Traité de Maastricht qui a officiellement reconnu l’éducation comme un domaine de compétence de l’Union européenne.

Celle-ci joue dorénavant un rôle de soutien dans les politiques d’éducation et de formation. Les Etats membres sont en charge de leurs propres systèmes d’éducation et de formation, mais ils coopèrent au sein d’un cadre communautaire pour atteindre des objectifs communs.

C’est en 1998, à l’occasion du 800ème anniversaire de la Sorbonne, que Claude Allègre ( !) et les ministres de l’enseignement supérieur d’Allemagne, de Grande-Bretagne et d’Italie lancèrent un appel à la construction d’un espace européen de l’enseignement supérieur, en se fixant pour objectif de l’achever en 2010.

Ce processus a pour objectif de favoriser les échanges universitaires (étudiants, enseignants et chercheurs) et de faire converger les systèmes universitaires vers des niveaux de référence communs. Pour y parvenir, des objectifs quantitatifs sont fixés.

Le processus de Bologne est alors lancé à grande échelle en 1999 et identifie six actions à mener, dans le but essentiellement d’harmoniser les diplômes européens (réforme LMD et crédits ECTS transférables d’une université à l’autre), valoriser la connaissance et faciliter la mobilité des étudiants, enseignants et chercheurs.

Cette convergence a facilité les échanges à travers le continent, contribué à la dynamique du progrès des connaissances et a, qui plus est, été un des catalyseurs de la construction d’une citoyenneté européenne. Le processus de Bologne a notamment contribué au développement du programme Erasmus, créé en 1987, que tout le monde connaît mais dont peu d’étudiants bénéficient, puisque les aides à la mobilité ne sont pas suffisantes. Les étudiants boursiers conservent leurs bourses à l’étranger, mais ce ne sont pas les 180 euros d’aides accordés qui suffisent à favoriser cette mobilité. Au niveau régional certaines bourses complémentaires sont attribuées aux étudiants Erasmus, une initiative que devraient favoriser les Conseil régionaux.

Le programme Erasmus n’a pas atteint son objectif fixé à 3 millions d’étudiants, et a seulement atteint 2,3 millions. Ce sont tout de même 160 000 étudiants qui bénéficient chaque année des programmes européens de mobilité (dont environ 20 000 français), soit 3,5% de la population étudiante européenne. Le budget consacré à Erasmus atteint ainsi 400 millions d’euros par an.

D’autres initiatives similaires visent le corps professoral, qui se voit ainsi « mobilisé » dans les 2 sens du terme.

Mais dans le même temps, la marchandisation des formations et la privatisation des savoirs, tout comme la mise en concurrence des établissements d’enseignement ont été des principes érigés pour permettre à certaines universités européennes de conserver leur rang parmi les plus prestigieuses au monde. Au détriment du reste des établissements d’enseignement et surtout de l’ascenseur social.

En 2010, date butoir du processus de Bologne on remarque que l’évaluation finale reste mauvaise : le seul indicateur ayant atteint son objectif est l’augmentation du nombre des diplômés en mathématiques et en sciences dures ! Les autres indicateurs ont progressé mais restent en dessous des objectifs.

Retournons à la recherche et à l’innovation, qui à notre époque de changements rapides, possèdent un double rôle: elles permettent l’élargissement du champ de la connaissance et des décisions mieux informées.

Mais elles participent aussi à l’apparition de problèmes.

Les recherches sur l’énergie nucléaire, les produits pharmaceutiques, l’ingénierie génétique agricole, la biologie de synthèse, les nanotechnologies, les recherches spatiales et militaires ont permis à de grandes entreprises de bénéficier de généreuses subventions publiques malgré les controverses entourant les conséquences sociales et environnementales de leurs productions.

Le budget de la recherche européenne a connu une augmentation quantitative, mais l’on reste loin d’une recherche qui servirait les idéaux de la Charta Magna. Le 7ème programme-cadre, qui dure de 2007 à 2013 s’élève à exactement 50.521 millions d’euros, ce qui fait 7,2 milliards par an. C’est plus d’une fois et demie le budget annuel du précédent programme cadre, ah ça on investit !

Au niveau européen nous avons des mastodontes de la recherche, notamment pour le nucléaire, mais désolée Euratom, NON MERCI !

Le budget d’Euratom, voté par le Parlement, est faramineux. Il représente à lui-seul 6% du budget de la recherche européenne.

Heureusement en 2006, lors de la précédente législature, à l’époque du vote en commission Industrie, Recherche et Energie (ITRE, où je siège actuellement), le Parlement est parvenu à réduire le budget d’Euratom de 11% pour la simple et unique raison qu’il fallait se serrer la ceinture, non pas parce qu’il fallait réorienter la recherche dans le domaine de l’énergie !

Euratom finance les activités d’un centre commun de recherche nucléaire en Italie, mais aussi la fission nucléaire et la radioprotection, regroupées sous la même ligne budgétaire. Sur les 11% de rabais obtenu par les parlementaires, ce sont 20% qui ont été rabotés sur le seul budget qui vaille la peine : la radioprotection évidemment !

Et que dire bien sûr du financement de la recherche sur la fusion nucléaire, avec notre prototype expérimental à 15 milliards, la plus grosse gabegie financière imaginée pour servir les fantasmes scientistes des nucléopathes ! L’Union européenne a mis 7,2 milliards dans ce projet de recherche international. Et la France, paie 20% de ce budget, merci Chirac pour le cadeau !

Ce n’est pas un secret, la majorité du Parlement est pro-nucléaire et encore plus au sein de la commission ITRE… et favorise grandement les intérêts de Foratom, le lobby de l’industrie nucléaire européenne.

C’est ce genre d’orientation de la recherche qui nous empêche de changer.

Il faut y remédier et vite car ces dépenses inconsidérées ont réduit d’autant, voire marginalisé, les financements disponibles pour la recherche d’un monde meilleur. Il y a tant de domaines importants comme la protection de l’environnement, les politiques de santé préventives, l’agriculture biologique et à faibles intrants, l’efficacité énergétique, les énergies renouvelables, la toxicologie, l’épidémiologie et j’en passe.

En juin dernier, la Commission a proposé un nouveau budget pour le prochain programme-cadre de recherche. Avec 100 milliards d’euros provisionnés, le budget s’apprête à doubler. Mais accroître un budget et améliorer une politique sont deux choses différentes.

Il est à craindre que la priorité excessive accordée à la compétitivité par l’UE ne se traduise dans le prochain programme-cadre par une prédominance des recherches d’inspiration commerciale, au détriment des recherches fondamentales et répondant aux besoins de la société.

C’est pourquoi il apparaît primordial de rappeler les principes essentiels qui doivent porter la politique de recherche au sein de l’Union européenne (1) :

– Dépasser le mythe selon lequel seules des techniques complexes et coûteuses pourraient créer des emplois et susciter le bien-être;
– Adopter une définition de l’innovation qui inclue des projets de recherche adaptés à leur contexte local, et pertinents socialement;
– Établir un processus de décision pour l’attribution des financements de recherche qui soit démocratique, participatif et responsable, exempt de conflits d’intérêts et de domination par l’industrie;
– Baser ses décisions sur une expertise qui soit indépendante des intérêts commerciaux, et permette une représentation équilibrée de toutes les parties prenantes;
– Garantir que les résultats des recherches financées par les fonds publics soient ouvertement accessibles à la société dans son ensemble.

L’Enseignement Supérieur et la Recherche ne doivent pas devenir le terrain de jeu des intérêts privés, ils doivent rester indépendants de tout pouvoir politique, économique et idéologique. Les pouvoirs publics doivent garantir cette exigence fondamentale.

Si la gauche passe en 2012, nous devrons être prêts à répondre à ces exigences. Nous ne pouvons pas perdre de temps et laisser aux générations futures une planète invivable. C’est déjà maintenant que ça se joue sur le terrain et  au Parlement européen !

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(1) Ces propositions sont celles de la fondation Sciences Citoyennes qui a d’ailleurs rédigé une lettre ouverte contre les projets de financement de la recherche proposés par la Commission européenne. Vous pouvez la signer ici.

= Pour aller plus loin: entretien avec Laurent Audouin, qui fait le bilan de cette Convention Nationale.

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Par Michèle Rivasi

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