Rapport Buzin « information et médicaments » : C’est toute la pharmacovigilance qu’il faut renforcer

Médicaments : Mme Buzyn veut améliorer l’information mais c’est toute la pharmacovigilance qu’il faut renforcer pour éviter de nouveaux scandales sanitaires

Michèle RIVASI, députée européenne écologiste, normalienne et agrégée en biologie, auteure du « Racket des laboratoires pharmaceutiques et comment en sortir », rappelle ses propositions en matière de pharmacovigilance, en complément de celles contenues dans le rapport « Mission Information et Médicament ».

La ministre de la santé, Agnès Buzyn, reçoit lundi 3 septembre le rapport de la « mission information et médicament » mise en place en décembre dernier, listant une série de recommandations pour améliorer les informations liées à l’utilisation des médicaments. Sur la base des conclusions de la mission, Mme Buzyn « s’engage pour une information plus accessible, plus claire et plus réactive sur le médicament », indique lundi le ministère dans un communiqué.

Cette mise en place d’une « stratégie » pour « encourager » les remontées d’informations de patients et professionnels de santé, censée tirer les leçons de crises sanitaires récentes, notamment celle du Levothyrox que j’ai suivi de prêt avec l’association française des malades de la thyroïde (AFMT) me laisse perplexe.

En effet, en début d’année j’ai rencontré le directeur de la surveillance à l’ANSM, la présidente du comité technique de l’ANSM et la présidente de l’association des Centres régionaux de pharmacovigilance et les conclusions que j’en ai tiré sont accablantes :

·Les moyens de la pharmacovigilance doivent être renforcés (l’ANSM ne dispose que de 28 évaluateurs et les centres régionaux de 3 à 6 temps plein) : une menace pèse aujourd’hui sur les centres régionaux de pharmacovigilance qui pourraient être réduit en nombre alors que ce sont des vigies indispensables à la remontée de signaux émanant du terrain par leur proximité et leur ancrage dans les CHU. Il faudrait mettre en place en plus de la plateforme nationale de signalement, des consultations en région pour les patients victimes d’effets secondaires. La direction de la surveillance devrait être suivie quand elle émet des alertes sérieuses et ce n’est pas toujours le cas. Le blocage vient souvent de l’EMA et du Comité pour l’évaluation des risques en matière de pharmacovigilance (PRAC) qui ne retire qu’exceptionnellement un médicament une fois l’AMM donné. On l’a vu il y a 2 ans avec le Mysimba® qui, grâce à une autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne est arrivé sur le marché contre l’avis de l’agence française du médicament, alors qu’il présente un rapport bénéfices-risques défavorable. La France ne pouvait pas empêcher sa commercialisation, elle pouvait seulement s’opposer à son remboursement. Du coup, les agences nationales ont tendance à biaiser en jouent sur le taux de remboursement via la HAS et la commission de transparence ou en émettant de la communication publique comme elle l’a fait en décembre en supprimant la publicité pour les médicaments anti-rhume à base de pseudoéphédrine : Dolirhume, Fervex… Il faut donc renforcer la coopération entre agences nationales et les coalitions avec celles faisant remonter le plus de signaux (je pense notamment aux agences scandinaves).

Le manque de moyens pour la pharmacovigilance en France et la baisse des effectifs dans les centres régionaux est inquiétante alors même que la Ministre s’engage à renforcer la surveillance des produits de santé.

Il faudrait aussi que la France s’inspire de l’Allemagne qui réduit de 20 points le taux de remboursement des médicaments en cas de déficit d’informations relatifs aux essais cliniques réalisés par les laboratoires pharmaceutiques et de la Belgique concernant l’information au patients (cf. crise du Levothyrox) et qui finance sa surveillance des médicaments par une taxe prélevée sur les produits de santé.

·J’alerte les pouvoirs publics sur la carence de surveillance des dispositifs médicaux (au nombre de 2 millions environ) qui ne dispose via Matériaux vigilance d’aucune remontée de terrain via des antennes locales.

La crise du Levothyrox et celle de la Depakine pour les femmes enceintes soulèvent les failles des autorités de santé en termes de veille, d’identification et de gestion des situations de crise. L’ANSM a mis trop de temps à réagir et à reconnaître ces dysfonctionnements. Il faut une meilleure exploitation des réseaux sociaux (à l’instar de ce que fait la start-up Kap Code qui via son logiciel Detec’t entend relever le niveau de pharmacovigilance dans l’Hexagone grâce aux réseaux sociaux comme nouvelle source d’information scientifique), une nouvelle méthodologie de traitement des signalements massivement reçus sur leur portail internet sans confondre pharmacovigilance et épidémiologie et enfin des moyens renforcés et décentralisés pour gérer les situations de crise.

J’estime aussi que des progrès doivent être accomplis et une recherche menée sur le couple « sexe / médicaments ». En effet, les derniers scandales sanitaires concernent souvent les femmes majoritairement (Essure, Diane 35, Levothyrox…). Il y a souvent un déni des mandarins de la médecine relatif aux effets secondaires dont elles sont victimes. On l’a vu avec la thèse du « nocebo » par rapport aux effets secondaires ressentis par des milliers de victimes de la nouvelle formule du Levothyrox.

Ainsi, comme le dit Catherine Hill (épidémiologiste à l’Hôpital Gustave Roussy), il faut repenser la pharmacovigilance car « aujourd’hui, on voit bien que l’industriel s’abrite derrière l’ANSM, qui s’abrite derrière les prescripteurs, qui s’abritent derrière l’efficacité du médicament et leur respect des règles édictées par l’ANSM et l’industriel, bouclant ainsi la boucle … le fond du problème est simple : en cas de doute, c’est le patient qu’il faut protéger et non l’industriel ». Il convient de recréer une pharmacovigilance basée sur la confiance, notamment grâce à une vraie communication à destination des prescripteurs et des usagers et l’intérêt général et non le profit.

Il faut également que la pharmacovigilance devienne une filière universitaire attractive, qui forme des experts indépendants évaluant les produits de santé sans lien avec l’industrie pharmaceutique.

La pharmacovigilance touche à la question de la démocratie sanitaire et de sortie d’un modèle paternaliste où le malade écoute sans se poser de question son médecin et où les effets secondaires sont mis sous le tapis pour étouffer les scandales sanitaires. La seule transparence ne suffit pas. Il faut aussi contrôler la politique du médicaments. »

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Par Michèle Rivasi

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