Le démantèlement, la grande inconnue de l’industrie nucléaire

Lundi 29 mai 2017 au Parlement européen, Phil Wynn Owen, membre de la Cour des comptes européenne (CCE), a présenté leur rapport spécial sur le démantèlement des réacteurs nucléaires ex-soviétiques de l’Union européenne (en Bulgarie, Slovaquie et Lithuanie. Ce rapport soulève des problèmes de dépassements budgétaires et de retards.).

Le mois dernier, Emmanuel Macron déclare son souhait de faire de Fessenheim son projet pilote tout en affirmant que « Personne ne sait aujourd’hui évaluer le coût du démantèlement-retraitement ». Mais que cache la question du démantèlement du nucléaire?

La CEE au Parlement européen sur le démantèlement

Le 29 mai 2017, Phil Wynn Owen, membre de la CEE a présenté devant la commission ITRE le rapport spécial concernant le soutien financier du démantèlement des réacteurs nucléaires de type soviétique en Bulgarie, en Lituanie et en Slovaquie, qui fut une des conditions pour l’adhésion à l’Union européenne. En septembre dernier, dans son audit 2011-2016, la Cour des comptes européenne avait pointé des inefficacités dans la gestion du démantèlement des centrales nucléaires: le manque d’incitations suffisantes pour un démantèlement efficace et dans les délais requis. Par exemple en Lituanie, la date butoir pour le démantèlement a été décalée de 9 ans. La CEE observe également l’absence de projets concrets pour la gestion des déchets et le fait que la part des fonds nationaux est fortement limitée dans les co-financements. La CEE relève aussi que les fonds européens ont été utilisés pour des frais de ressources humaines pour la maintenance, et non pour le démantèlement.

 

Une estimation de 11,4 milliards d’euro

La CEE estime actuellement les coûts pour le démantèlement de ces réacteurs à 5,7 milliards d’euro au total. En Lituanie, les frais réels par rapport aux coûts estimés ont augmenté de 1,7 milliards en Lituanie depuis 2011, de 92 millions en Slovaquie et de 52 millions en Bulgarie. Cela représente des frais supplémentaires de 3 milliards d’euro. Les programmes de démantèlement ne prennent pas en compte l’ensemble des coûts totaux. Par exemple, l’élimination totale des combustibles usés et des déchets hautement radioactifs n’est pas pris en compte. Si on prend compte cette élimination, l’estimation revient à 11,4 milliards d’euro.

La Commission européenne a assuré que les coûts du programme de démantèlement nucléaire en Lituanie, Slovaquie et Bulgarie n’excéderont pas la limite fixée dans le cadre financier pluriannuel qui couvre les dépenses de l’Union européenne jusqu’en 2020.  Après 2020, l’Union européenne ne sera plus soumise à l’obligation de contribuer au démantèlement des centrales nucléaires dans ces trois pays qui devront assurer la suite des opérations de démantèlement. Mais comment sera assuré la suite du processus de démantèlement ?

 

Aucune expérience en France

Le démantèlement des réacteurs et la gestion des déchets restent la grande inconnue de l’industrie nucléaire. On compte 450 réacteurs en activité dans le monde et 110 à l’arrêt. Seule une vingtaine d’unités ont été déconstruites, dont la moitié aux Etats-Unis, et seulement trois pour l’Europe en Allemagne. En France, aucune installation n’a été entièrement démantelée. Un paradoxe pour le pays qui dispose du deuxième parc nucléaire de la planète et qui compte neuf centrales de première génération aujourd’hui à l’arrêt.

 

Des délais toujours retardés

Alors que l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) prône le démantèlement «immédiat» des réacteurs arrêtés, EDF reporte à 2100 le démantèlement de ses six réacteurs au graphite-gaz arrêtés pour la plupart depuis plus de trente ans. Pour son parc de réacteurs à eau pressurisée, selon le rapport parlementaire sur « la faisabilité technique et financière du démantèlement des installations nucléaires de base » publié en février 2017, la stratégie retenue par EDF semble parier sur un allongement de la durée de vie de ses installations à cinquante, voire soixante ans grâce aux travaux de grand carénage qui coûteront autant que les provisions nécessaires au démantèlement, soit 74 milliards d’euros.

Michèle Rivasi, eurodéputée du Groupe des Verts réagit: « Il semble qu’EDF n’a pas réellement intégré les changements liés à la loi de transition énergétique qui impose une diminution à 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité à l’horizon 2025. Dans son programme, Emmanuel Macron affirme qu’il gardera le cadre de la loi de transition énergétique. Il déclare: « Nous réduirons notre dépendance à l’énergie nucléaire, avec l’objectif de 50% d’énergie nucléaire à l’horizon 2025. » Si Emmanuel Macron tient ses engagements, EDF pourrait se voir contraint de fermer, et à terme de démanteler, dix-sept réacteurs. «  Mais la France est en retard ! Aucune concertation, ni participation n’est organisée pour décider comment et à quel niveau on démantèle. Encore beaucoup de questions sont sans réponses. Qu’en est-il par exemple du stockage du graphite-gaz ? « 

 

Des coûts sous-estimés

L’estimation du démantèlement par EDF est sujette à caution. Pour l’ensemble du parc français (58 réacteurs), EDF a évalué le coût du démantèlement à 26,6 milliards d’euros. Selon la Commission européenne, dans son projet de programme indicatif nucléaire (PINC) publié en avril 2016, il faudrait 74 milliards d’euros à la France.  En d’autres mots, selon la Commission européenne, la France estime qu’il coûtera 300 millions d’euros par gigawatt (GW) de capacité de production pour le démantèlement d’un réacteur nucléaire – bien en dessous de l’hypothèse allemande à 1,4 milliard d’euros par GW et au Royaume-Uni de 2,7 milliards d’euros par GW. La France, qui dispose du plus grand parc de centrales  et du plus gros stock de déchets, figure parmi les mauvais élèves pour assurer l’approvisionnement nécessaire pour le démantèlement de ses centrales. Avec 23 milliards d’euros provisionnés, elle dispose d’une couverture de 31 % seulement, contre 100 % pour la Grande-Bretagne, 94 % pour les Pays-Bas et 83 % pour l’Allemagne. Le rapport parlementaire du 1er février appuie également qu’il est vraisemblable qu’EDF ne prévoit pas assez d’argent pour assurer le démantèlement des centrales.

EDF soutient qu’en raison de la normalisation de certains réacteurs et parce qu’il y a de nombreux réacteurs situés sur des sites uniques, le groupe peut démanteler à faible coût. Selon Michèle Rivasi, eurodéputée du Groupe des Verts, « cette affirmation est impossible. Les réacteurs sont des dispositions complexes d’éléments, et chacun a une histoire différente de fonctionnement et de sûreté. L’analyse du parc français le montre, le démantèlement des réacteurs nucléaires doit être un processus « sur-mesure ».   À Chooz, il faut déconstruire une centrale édifiée dans une grotte. Le Superphénix à Creys-Malville demande de gérer des neutrons rapides. À Brennelis, le démantèlement de ce petit réacteur de 70 mégawatts a débuté il y a six ans et devrait être achevé en 2032, soit quarante-sept ans après sa mise à l’arrêt. Brennelis est d’ailleurs un exemple marquant de la probable explosion du coût à venir du nucléaire français! La Cour des comptes évalue l’opération de Brennilis à 482 millions d’euros, vingt fois plus que l’estimation initiale.

 

Autre problème : qui va payer ?

EDF place les sommes provisionnés pour le démantèlement dans des actifs sur les marchés. L’entreprise les investit, à travers une société dédiée, EDF Invest, dans des infrastructures, de l’immobilier et même des fonds d’investissement. Ce qui pose la question de la sécurité de ces placements à l’aune des risques d’instabilité financière. En outre, les choix d’EDF pour faire fructifier ces sommes sont parfois surprenantes. L’entreprise qui, rappelons-le, appartient à 85 % à l’État français, a acheté avec ces provisions destinées au démantèlement et au traitement des déchets, une part dans l’aéroport de Nice, que l’État avait décidé de privatiser.

« Le coût du nucléaire est un mensonge organisé, l’énergie nucléaire a un coût réel bien plus important que celui qu’on veut nous faire croire. En ayant aucune volonté politique d’obliger au démantèlement et en laissant jouer avec les provisions déjà insuffisantes, l’État est complice d’EDF. Il faut maintenant une véritable action politique afin d’éviter de faire peser sur les générations futures le poids du démantèlement et de la gestion des déchets», conclut Michèle Rivasi.

 

 

 

 

 

 

 

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Par Michèle Rivasi

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