Journal du Glyphosate, Jour 1

JOURNAL DU GLYPHOSATE, JOUR 1
Chronique, remous et pesticides… Ma revue de presse d’une catastrophe sanitaire annoncée !

Je m’appelle Michèle Rivasi. J’ai fait Normale sup’ et je suis agrégée de biologie. Passionnée de santé publique, fondatrice de la Criirad en 1986, au lendemain de l’explosion de Tchernobyl, je bataille depuis plus de trente ans contre les lobbys industriels, les mensonges d’état, les « fake news » et les pollutions environnementales. Députée européenne depuis 2009, j’ai été très impliquée dans la saga du glyphosate, attaquant en justice l’EFSA, l’agence européenne des aliments, pour avoir accès à l’intégralité des études études scientifiques et réclamant la création d’une Commission d’enquète sur les conditions d’autorisation du glyphosate.

Pendant qu’aux Etats-Unis, un nouveau procès des effets cancérigènes du glyphosate et du Roundup débute sous haute tension, Santé publique France publie les résultats d’une étude sur les travailleurs de la canne à sucre à La Réunion et leur exposition aux pesticides. L’état des lieux est terriblement préoccupant !

ENTRE 44 % ET 88% DES TRAVAILLEURS DE LA CANNE A SUCRE EXPOSES A AU MOINS UN PESTICIDE CANCERIGENE OU MUTAGENE

Préparation des bouillies, épandage, nettoyage du matériel utilisé, passage dans les champs traités, etc… l’exposition des travailleurs agricoles aux pesticides est plus intense et plus fréquente que dans le reste de la population. Les risques pour leur santé sont alors plus importants.

Le programme Matphyto-DOM de Santé publique France cherche à reconstituer l’exposition aux pesticides des travailleurs de la canne à sucre à La Réunion sur la période allant de 1960 à 2014. Ses résultats viennent d’etre rendus publics.

Au total, « 28 substances actives différentes ont été utilisées sur la canne à sucre dont 19 sont des désherbants comme le glyphosate », indique l’organisme public. « Entre 44% (en 1981) et 88% (en 2010) des travailleurs de la canne à sucre ont été exposés à au moins un pesticide cancérogène ou pouvant avoir un effet sur la fertilité, la grossesse ou l’enfant à naître (reprotoxique) ou induisant une perturbation endocrinienne », précise l’organisme public. Nous devons prendre conscience que les femmes représentent plus de 25% des travailleurs agricoles concernés par ces expositions à des pesticides perturbateurs endocriniens et reprotoxique. En tout, 6 300 à 10 000 réunionnais sont concernées sur la période étudiée.

« De 1977 à 2014, on estime à 232 tonnes la quantité totale de glyphosate appliquée sur la canne à sucre », remarque également Santé publique France. La quantité n’a cessé d’augmenter au cours des années. Ainsi, « en moyenne, 0,5 tonnes par an étaient déversées à la fin des années 70, puis 3,5 tonnes/an dans les années 80 et 7,5 tonnes/an depuis la fin des années 80 à aujourd’hui ». C’est à dire 15 fois plus par an depuis les années 1970 et depuis 30 ans. Désormais, « 50% des pesticides utilisés sur la canne sont potentiellement cancérogènes, reprotoxiques ou induisant une perturbation endocrinienne ».

« L’étude montre un important besoin d’actions de prévention ciblées pour restreindre sinon arrêter ces expositions aux pesticides avant le déclenchement de pathologies chroniques graves », conclut Santé publique France.

QUID DU CHLORDECONE AUX ANTILLES ? LES DERIVES DE L’ARSENIC EN FRANCE ? ET DU LIEN ENTRE PESTICIDES ET MALADIE DE PARKINSON ?

Santé Publique France rappelle les enseignements de Matphyto sur les autres expositions des travailleurs agricoles : le chlordécone aux Antilles, les dérivés arsenicaux en France métropolitaine et sur le lien entre exposition aux pesticides et maladie de Parkinson.

Aux Antilles, Santé publique France a documenté les expositions des travailleurs agricoles de la banane à tous les pesticides utilisés depuis 1960 et jusqu’à 2015, chlordécone inclus. Matphyto-DOM a montré que 77% des travailleurs agricoles des bananeraies antillaises étaient exposés à la chlordécone en 1989 et que les travailleurs actuels sont encore exposés à d’autres pesticides ayant des effets potentiellement nocifs pour la santé.

Classé comme cancérigènes certains avec des temps de latence de 20 à 40 ans, le dernier des pesticides à base de dérivés arsenicaux a été interdit en France en 2001. Les travailleurs agricoles utilisaient en moyenne près de 15 kg d’arsenic en 1979, 18,4 kg en 1988 et 26,8 kg en 2000. Bilan ? « On estime que 20 à 35% des personnes présentes au sein des exploitations professionnelles viticoles étaient exposées à ces substances, soit, sur les périodes étudiées, entre 60 000 et 100 000 personnes exposées chaque année » selon Santé publique France.

En 2018, l’étude conjointe Inserm / Santé publique France a constaté 1 800 nouveaux cas par an de maladies de Parkinson chez les exploitants agricoles âgés de 55 ans et plus. Soit une incidence 13% plus élevée que chez les personnes affiliées aux autres régimes d’assurance maladie.

AUX ETATS-UNIS, UN NOUVEAU PROCES MONSANTO SOUS HAUTE TENSION

Six mois après le premier procès gagné par le jardinier californien Dewayne Johnson atteint d’un lymphome non hodgkinien en phase terminale, le Roundup, l’herbicide au glyphosate de chez Monsanto, revient devant la justice américaine. Cette fois, il s’agit du premier procès fédéral. Un procès où, pour l’instant, les coups de théâtre se succèdent.

Edwin Hardeman, un californien de 70 ans, a utilisé du désherbant Round up pendant 25 ans dans son jardin de 10 hectares. Il y a 4 ans, en février 2015, on lui a diagnostiqué un cancer, un lymphome non-hodgkinien. Edwin Hardeman a porté plainte l’année suivante contre la firme. Plus de 700 actions en justice contre Monsanto sont enregistrées au tribunal fédéral de San Francisco. Les affaires ont été combinées pour être traitées en tant que litiges multi-districts (MDL) sous la responsabilité du juge Vince Chhabria.Ce nouveau procès, plus difficile à gagner pour le plaignant, fait figure de test pour les autres affaires qui lui sont reliées.

À la demande de Bayer-Monsanto, les débats ont été scindés en deux parties. « La première phase est simplement de déterminer si le Roundup a été une cause du cancer d’Edwin Hardeman », a expliqué le juge Vince Chhabria. Si c’est le cas, le procès se concentrera ensuite sur la responsabilité éventuelle de Monsanto, que les avocats du plaignant accusent d’avoir sciemment dissimulé les risques.

La procédure est inhabituelle. Et les débats se déroulent sous haute tension. Le juge Chhabria a décidé de mettre la pression sur les avocats du plaignant, interrompant et récusant dès le premier jour du procès, mardi 25 février, certains des arguments mis en avant par Aimee Wagstaff, l’avocate principale de Hardeman. Alors que la moindre mention de la classification du glyphosate comme « cancerigène probable » par le CIRC peut soulever une objection des avocats de Monsanto, Aimee Wagstaff a causé la colère du juge pour avoir cité dans son exposé introductif des documents de l’EPA, l’agence américaine de l’environnement qui avait exprimé dès 1983 ses soupçons sur la cancérogénicité du glyphosate.

Suite à ses nombreuses remarques et avertissements, après l’avoir interrompue pour avoir « franchi la ligne », ses arguments « totalement inappropriés », qualifiant ses manoeuvres « d’incroyablement stupides », le juge Chhabria a annoncé mardi, au deuxième jour du procès, sa décision de sanctionner Aimee Wagstaff, pour « conduite inappropriée répétée ». Chhabria la condamne à une amende de 500 $ et à à fournir une liste de tous les autres membres de son équipe ayant participé à la rédaction de sa déclaration préliminaire. Ces avocats peuvent également être sanctionnés.

« J’AI LE POUVOIR DE CLASSER L’AFFAIRE »

« Ensemble, les cinq premières violations étaient intentionnelles et de mauvaise foi », écrit Chhabria dans sa décision de trois pages. « Ce ne sont pas des maladresses : elles étaient incluses dans les diapositives que Wagstaff et son équipe ont préparées et utilisées pour sa déclaration préliminaire. Elles portaient sur des questions que Wagstaff et son équipe ont clairement exposées tout au long de la procédure préparatoire, qu’elles considèrent importantes pour le jury d’entendre pour établir la preuve de la causalité. »

La menace n’est pas que financière. « Je n’ai aucune raison de croire que vous abordez cette affaire de mauvaise foi de quelque manière que ce soit, mais vous êtes responsable de cette affaire», a dit Chhabria à Hardeman avant la clôture de l’audience de mardi. « Vous avez engagé ces avocats. Vous êtes le responsable de ce que ces avocats font dans cette salle d’audience. Il me semble donc que vous avez une décision à prendre », a-t-il poursuivi. « Vous pouvez soit demander à vos avocats de se comporter comme ils se sont comportés hier, soit de leur dire de jouer franc-jeu.

« Si les sanctions ne fonctionnent pas, j’ai le pouvoir de classer votre affaire, ce qui signifie que vous perdez », a précisé Chhabria. « C’est vraiment à vous de décider comment vos avocats se conduiront pour le reste du procès. »

A l’issue du troisième jour du procès, nouveau coup de théâtre : un second juré a démissionné du procès. Ils ne sont maintenant plus que sept : un homme et six femmes. Pour que le jugement soit rendu, un total de six jurés est requis, tous unanimes dans leur verdict.

Sources

Judicial threats and Judge jokes, 27 fevrier 2019
https://usrtk.org/pesticides/monsanto-roundup-trial-tracker

Judge Sanctions Attorney in Second Day of Roundup Trial, 26 février 2019

Judge Sanctions Attorney in Second Day of Roundup Trial


Premier procès fédéral contre Monsanto aux Etats-Unis, 26 février 2019
https://fr.euronews.com/2019/02/26/premier-proces-federal-contre-monsanto-aux-etats-unis

Le monde agricole face aux pesticides, 25 février 2019
https://santepubliquefrance.fr/Actualites/Le-monde-agricole-face-aux-pesticides

Exposition aux pesticides arsenicaux des travailleurs agricoles de la vigne, 21 déc 2018
https://www.santepubliquefrance.fr/Actualites/Exposition-aux-pesticides-arsenicaux-des-travailleurs-agricoles-de-la-vigne

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Par Michèle Rivasi

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