Tchernobyl, 28 ans après la transparence fait toujours défaut

Elle serait presque passée inaperçue : une brève description d’un poster présenté lors d’un colloque sur la radioprotection, apportant de nouvelles données sur le lien entre anémie et exposition à la radioactivité.

Cette étude reprend les bilans de santé réalisés sur un peu moins de 3000 enfants du district de Chechersk, en Biélorussie, nés entre 4 et 16 ans après la catastrophe de Tchernobyl. Trois séries d’analyses complètes, réalisées entre 2005 et 2009 par des laboratoires internationaux et biélorusses. Le tout financé en partie par l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN). Une collaboration scientifique au profit de la transparence et de la vérité sur les conséquences sanitaires de la catastrophe.

Au programme de ces quatre années : une série de bilans de santé sur les enfants du district de Chechersk suivie d’une consultation des populations et des familles pour orienter les recherches et aboutir à une analyse plus approfondie des données. Pour qui s’intéresse à ce processus, un problème se pose : aucun des résultats n’est disponible. Rien sur le séminaire « Children’s health in Cherchersk district : Which results today and how to progress tomorrow » tenu après les premières analyses à destination des autorités de Biélorussie. Rien sur les bilans de santé eux-mêmes.

Les résultats semblent déranger. L’IRSN évoque des « données compliquées à analyser » ; il était ainsi « difficile d’établir l’effet des différents facteurs ». Selon l’institut, les résultats finaux des analyses seraient en cours de traitement et de mise en page. Quatre ans après la récolte des données… De la part des acteurs internationaux, on apprend que l’analyse des résultats en 2010 a donné lieu à la rédaction d’un manuscrit prêt pour publication depuis « quelques temps déjà », mais que le processus « a été ralenti », que le contact « a été perdu ».

Deux posters, publiés avec cette tribune, nous sont communiqués : on y relève pour l’un, l’absence de résultats clairs et pour l’autre, une prise de distance face à un « éventuel biais de dépistage du fait du bilan médical complet systématique ».

Les protocoles avaient pourtant été préparés par des pédiatres de l’hôpital St Vincent de Paul de Paris et les analyses menées par des instituts de haute volée… Même le très officiel et nucléophile CEPN (Centre d’étude sur l’Evaluation de la Protection dans le domaine Nucléaire) indique qu’une première analyse des données « a permis d’identifier les précisions nécessaires pour la poursuite de l’analyse, de déterminer les paramètres les plus pertinents et d’obtenir les premiers résultats ». Peut-on donc mener quatre ans de recherches pour se rendre compte in fine qu’elles sont biaisées ?

Ces mesures, dont l’interprétation « doit être faite avec précaution », indiquent notamment : une fréquence de 15 % de maladies chroniques, 11 % de cas d’anémie, et 14% de retards de développement psychomoteur variant de « significatif » à « fort » dans le cas d’enfants vivant en conditions « non satisfaisantes ».

Dans ce flou artistique, face à des interlocuteurs gênés, un troisième son de cloche se fait entendre de la part de la société civile : des résultats auraient déjà été présentés à l’ensemble des participants au projet CORE (COopération pour la REhabilitation, qui comprenait ce volet sanitaire ainsi que trois autres thématiques) mais leur publication a été bloquée « pour ne pas rajouter du stress aux parents ».

Peut-on avoir accès à ces résultats initiaux ? Au séminaire étape organisé en Biélorussie ? Peut-on au moins recevoir un rapport final d’évaluation du groupe CORE santé à destination des financeurs ? Aucune réponse, si ce n’est les deux posters présentés discrètement dans des colloques sur la radioprotection, après passage dans un tamis à la maille très fine… L’histoire ne dit pas qui a choisi la maille.

La transparence reste donc bien l’Arlésienne du nucléaire. Au Japon, suite à Fukushima, le gouvernement a promulgué des lois « secret défense » liberticides et directement dirigées contre les lanceurs d’alerte, balayant d’un revers de main tous les beaux discours d’ouverture au public.

En France, 28 ans après Tchernobyl, on évite désormais de mentir de manière trop flagrante à la population. On omet simplement de lui transmettre des informations qui pourraient permettre de juger en connaissance de cause des dangers du nucléaire.

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Par Michèle Rivasi

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