Pesticides : l’indépendance des experts de l’EFSA une fois de plus mise en cause

Par Karima Delli, députée européenne, tête de liste EELV de la région Nord Ouest, Michèle Rivasi, députée européenne, tête de liste EELV de la région Sud Est et François Veillerette, Conseiller régional EELV de Picardie, Fondateur et porte parole de Générations Futures.

Tribune à retrouver sur le site du Huffington Post

Ces derniers jours, l’actualité vient pointer une nouvelle fois les importants dysfonctionnements qui perdurent encore en matière d’évaluation et d’autorisation des pesticides en Europe, un sujet pourtant majeur pour la santé des européens.

C’est d’abord une nouvelle publication de l’ONG PAN Europe qui a mis en lumière un lobbying forcené visant à saboter la directive européenne de 2005 sur les dangers liés à la présence de mélanges de résidus de pesticides dans les aliments. Dans ce domaine, la réglementation en vigueur est censée prendre en compte la toxicité de chaque résidu pris individuellement. Mais pas la toxicité du mélange, qui constitue pourtant un cocktail chimique spécifique avec une toxicité propre. Pourquoi ? PAN Europe révèle, à la suite de l’étude de Corporate Europe Observatory parue en octobre 2013, qu’un réseau d’experts liés à l’industrie des pesticides a infiltré depuis des années le milieu scientifique institutionnel. Ainsi on apprend que 52 % des experts travaillant pour l’Autorité alimentaire européenne (EFSA) sur les effets des mélanges de résidus de pesticides dans les aliments ont des liens d’intérêt avec l’industrie dont ils évaluent les produits. Ils sont en outre 73% parmi les experts travaillant pour l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Avec cette majorité d’experts liés aux industries, qui se préoccupent davantage de leurs profits que de santé publique, rien d’étonnant à ce que les effets des cocktails de résidus de pesticides soient toujours passés sous silence.

Après ce nouveau coup porté à la crédibilité de l’EFSA, qu’attend la Commission européenne pour imposer enfin une véritable politique de prévention des conflits d’intérêts au sein cette agence?

Ensuite, c’est une nouvelle étude du Professeur Séralini de l’Université de Caen, qui vient souligner une autre lacune majeure dans l’évaluation actuelle des pesticides en Europe. On sait que les pesticides dits « formulés », tels qu’ils sont vendus et utilisés par les jardiniers au quotidien, ne sont pas évalués pour leurs effets à long terme sur les cellules humaines. Seule la substance active est soumise à un test à long terme, alors que le mélange des différents adjuvants qui les composent, n’est testé que pour ses effets à court terme. Dans cette nouvelle étude, les scientifiques de Caen ont montré que les pesticides qu’ils ont étudiés présentent clairement des effets plusieurs centaines de fois supérieurs en moyenne à ceux causés par leur matière active prise isolément.

Il est purement scandaleux et irresponsable qu’aujourd’hui la législation européenne n’impose pas ces tests de toxicité à long terme sur les pesticides en formulation. Cela sous-évalue gravement le risque posé par ces produits: ainsi, sont maintenus sur le marché des pesticides qui menacent directement la santé de millions de personnes en Europe. Le règlement européen sur les pesticides doit évoluer d’urgence afin que soit exigée l’évaluation avant mise sur le marché des effets à long terme des pesticides.

Mais cela ne suffit pas. S’il est indispensable d’améliorer la législation européenne, il faut surtout commencer par appliquer les textes qui existent déjà. Nous sommes atterrés par l’attitude de la Commission européenne qui bloque une disposition majeure pour la santé des européens : l’interdiction des pesticides perturbateurs endocriniens. Cette disposition, qui avait été obtenue par les écologistes dans le cadre du nouveau règlement européen sur les pesticides de 2009, prévoyait pourtant que soit publiée au plus tard fin 2013 une définition de ces polluants qui dérèglent de manière délétère et irréversible notre système hormonal, contribuant à une explosion du nombre de cancers hormonodépendants et à une chute drastique de la fertilité des espèces vivantes. Mais, sous l’influence du puissant lobby agrochimique et avec la complicité d’États membres à forte industrie chimique, et ce malgré une forte mobilisation des eurodéputés écologistes, la Commission européenne a reporté cette publication sine die. Elle a au contraire tout fait pour retarder le processus, en imposant une évaluation d’impact économique préalable, ce qui de fait enterre l’esprit du règlement, et relègue les enjeux sanitaires au second plan. C’est inacceptable.

Le 25 mai prochain, les citoyens européens enverront de nouveaux députés pour les représenter au Parlement européen. Celui-ci devra de toute urgence continuer le bras de fer déjà entamé avec la Commission et le Conseil sur ces sujets. Seule une nouvelle majorité permettra de rétablir la confiance dans les institutions européennes, en imposant de réels changements pour assurer la protection de la santé des plus faibles. Car ce sont bien eux qui sont le plus exposés, notamment les travailleurs agricoles et les familles modestes qui n’ont pas toujours accès à une alimentation saine et non chimique! Pour répondre à ces attentes légitimes des européens et peser face aux menaces de dérèglementation sociale et environnementale que voudraient nous imposer les firmes agrochimiques globalisées, il nous faut toujours plus d’Europe, une Europe solidaire qui protège tous les européens face à la soif de profit de quelques-uns.

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Par Michèle Rivasi

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