Les espoirs de la phagothérapie (Le Monde)

Par Raphaëlle Maruchitch
Le Monde, 6 janvier 2014

A l’automne, des essais cliniques inédits devraient débuter au sein de sept hôpitaux de France, Belgique et Suisse sur les bactériophages, des virus naturels spécifiques des bactéries dont le potentiel médical a déjà fait ses preuves par le passé. Cette ancienne thérapie, dite phagothérapie, suscite de nouveaux espoirs en tant que traitement complémentaire des antibiotiques dans certaines infections à bactéries multirésistantes.

Il y a dix-huit mois, le docteur Alain Dublanchet, microbiologiste et ancien chef de service au centre hospitalier de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne), fervent défenseur de la phagothérapie, se heurtait encore à de nombreux obstacles dans sa croisade pour la réintroduire en France dans un cadre légal (supplément « Science & techno » du 16 juin 2012).

A l’époque, la start-up française Pherecydes Pharma débutait les premiers tests précliniques de phages sur des modèles animaux. Les résultats ont depuis attesté d’une « très bonne efficacité des produits », explique Jérôme Gabard, le PDG de Pherecydes Pharma. Avec le docteur Patrick Jault, responsable de l’unité des brûlés de l’hôpital Percy, à Clamart (Hauts-de-Seine), et le docteur François Ravat, chef de service du centre des brûlés du centre hospitalier Saint-Joseph – Saint-Luc (Lyon), ils ont alors monté un dossier pour répondre à un appel à projets européen.

200 PATIENTS ENVIRON, ISSUS D’UNITÉS DE GRANDS BRÛLÉS

Nommé Phagoburn, leur projet a été retenu au mois de juin 2013 par la Commission européenne. Un peu plus de 3,8 millions d’euros lui seront alloués. Phagoburn rassemble aussi bien des partenaires privés que publics et implique des hôpitaux civils comme militaires. Il va inclure 200 patients environ, issus d’unités de grands brûlés. Pherecydes Pharma mettra au point les cocktails de bactériophages ; quant à la production, elle sera assurée par Clean Cells, établissement pharmaceutique basé à Nantes. Deux produits thérapeutiques contre deux espèces bactériennes (colibacille et pyocyanique) vont être testés sur les brûlures infectées. « Nous espérons en premier lieu montrer que les phages sont aussi efficaces que le traitement de référence, puis observer que la vitesse d’éradication des bactéries est plus grande », résume le docteur François Ravat.

Ce pas en avant vers l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché, la phagothérapie le doit aussi aux politiques qui se sont emparés du sujet. La sénatrice Maryvonne Blondin a adressé une question orale à ce propos, en février 2013, à Michèle Delaunay, la ministre déléguée auprès de la ministre de la santé, et a interpellé d’autres ministères sur le sujet. « Les acteurs qui s’investissent dans cette thématique réalisent un travail de titan, dans un environnement peu favorable », juge-t-elle. La députée européenne Michèle Rivasi a, elle, organisé une réunion sur la question au Parlement européen le 17 septembre 2013. Elle a également inscrit le sujet des phages dans le projet pilote de la commission «Horizons 2020» et prévoit, en 2014, de présenter un rapport d’initiative spécifique sur la phagothérapie.

«MÉDICAMENTS BIOLOGIQUES »

Quid des industriels intéressés ? Si les phages ne sont pas brevetables car issus du vivant, Jérôme Gabard (Pherecydes Pharma) affirme que les cocktails, eux, le sont. « Avec Phagoburn, les industriels vont sentir que les choses bougent », pense le docteur Ravat. Michèle Rivasi estime pour sa part que « les laboratoires pharmaceutiques ne sont pas intéressés » et ne voit d’autre solution que de « développer la recherche publique ». Du côté de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), le dossier phagothérapie est désormais bien connu. Une réunion de travail sur le sujet aura lieu au cours du premier semestre, coordonnée par l’Agence européenne du médicament. Le statut des bactériophages semble clair : « Les produits à base de phages répondront demain à la définition des médicaments biologiques », explique Alban Dhanani, directeur adjoint de la direction des médicaments anti-infectieux à l’ANSM.

Le dossier avance, mais l’utilisation des phages n’est pas encore possible en France. Jean-Marc Chatellier fait partie de ceux qui se sont confrontés à cette réalité. Sa mère souffrait d’une dilatation des bronches et avait contracté une infection résistante aux antibiotiques. Elle n’a pas obtenu d’autorisation pour utiliser des phages et il n’était pas envisageable qu’elle se rende en Géorgie, où la phagothérapie est toujours largement utilisée. Elle est morte à 73 ans de complications de l’infection, en janvier 2013. Son fils regrette amèrement qu’elle n’ait pas pu tenter la phagothérapie en dernier recours.

DIFFICILE DE GARANTIR LA STABILITÉ DES COCKTAILS

De son côté, le docteur Dublanchet continue, avec d’autres médecins impliqués, à prendre en charge quelques patients – mais limite cette activité, illégale. « Définir des protocoles pour encadrer l’usage de la phagothérapie » est devenu son cheval de bataille. « Il ne faut pas la laisser libre d’utilisation, comme cela a été le cas pour l’antibiothérapie », met-il en garde. Sa volonté est de faire reconnaître par le ministère de la santé le Centre français d’étude de la phagothérapie en tant que centre de référence. Il pourrait alors fédérer les centres d’autres pays afin d’aboutir à une réflexion commune et être habilité à constituer une banque de phages à usage thérapeutique.

Pour l’heure, l’un des points qui le chagrine encore est qu’il se révèle difficile de garantir la stabilité des cocktails de phages. Le docteur Ravat partage ce scepticisme. C’est pourtant bien un produit stable et prêt à l’emploi qui devra être présenté à l’Agence du médicament.

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Par Michèle Rivasi

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