Le vrai prix d’un accident nucléaire (Marianne)

Jeudi 28 Mars 2013 à 12:00

JEAN-CLAUDE JAILLETTE – MARIANNE

Le JDD du 10 mars a allumé la mèche. Il y a moins d’un mois, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) publiait un rapport remarqué de quelques rares spécialistes sur le coût économique des accidents nucléaires pouvant survenir en France. Conclusion : entre 120 et 400 milliards. Le scoop du quotidien du dimanche est d’avoir déterré le premier rapport de ce type réalisé en 2007 et resté depuis confidentiel. A la vue du chiffre, on comprend pourquoi : entre 760 et 5 800 milliards. Cette fois, le travail de l’IRSN n’est pas passé inaperçu.

Une question dès lors tombe sous le sens, que le JDD a bien évidemment posée au directeur de l’institut, Jacques Repussard : ces chiffres étaient-ils si effrayants, à ce point inacceptables psychologiquement par la population menacée de ruine, que l’institut aurait été sommé de revoir sa copie par les autorités politiques ? «Aucune pression n’a été exercée», a répondu tranquillement le directeur général. Même réponse fournie par l’auteur des deux rapports, l’économiste de l’IRSN Patrick Momal, qui selon l’hebdomadaire du dimanche a néanmoins manifesté un certain «embarras».

Quelques heures après la révélation de ces chiffres, l’institut publiait un communiqué : «L’objectif de ce genre de rapport n’est pas d’obtenir un coût réaliste d’un accident nucléaire majeur, mais d’établir une analyse de sensibilité des conséquences économiques par rapport à différentes situations analysées.» Jolie langue de bois qui, décryptée, signifie que le chiffrage d’un scénario ultime n’a qu’un but politique, celui de réveiller les consciences.

Chiffrer, à quoi ça sert ?

Ce type de travail a été engagé par l’IRSN en 2005 à la demande de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), sans qu’aucun feu vert du gouvernement ait été demandé. Belle preuve d’indépendance, qu’aucun écologiste ne conteste. A dire vrai, les pouvoirs politiques et les responsables d’EDF ont une fâcheuse tendance à vouloir ignorer les coûts de la prévention nucléaire. Il convient donc d’agiter régulièrement un chiffon rouge sous leurs yeux aveugles, avant que les professionnels du catastrophisme ne s’en chargent. S’il n’y a pas d’argent, il n’y a pas de sûreté, explique Jacques Repussard dans Libération (12 mars). C’est le cas de Tchernobyl où l’un des facteurs de l’accident est la pénurie d’électricité qui a conduit à reporter un exercice de sûreté, par ailleurs mal conçu, et contribué à provoquer l’accident.» L’IRSN a mis au point un modèle économique incluant les coûts liés à la perte du réacteur, les frais de décontamination, les pertes de denrées alimentaires, les conséquences de boycotts économiques, les effets sur le tourisme, etc. Les conséquences politiques et économiques des nouvelles exigences en matière de sûreté ont même été évaluées, ainsi que les déplacements de populations. En 2007, la référence était Tchernobyl, cette année, Fukushima a permis d’affiner le modèle. Selon le premier scénario, considéré comme «majeur», l’IRSN a imaginé que le nuage atteindrait l’Allemagne, dans le second, ramené au rang de «grave», il resterait à l’intérieur des frontières, sans même atteindre Paris. Non par chauvinisme, mais parce qu’entre 1986 et 2012 les dispositifs de sécurité ont considérablement progressé, expérience aidant.

Pourquoi ces chiffres sortent-ils ?

Michèle Rivasi, députée européenne (Europe Ecologie-Les Verts), spécialiste des questions nucléaires, avance une analyse : « Il faut obliger EDF à augmenter son niveau d’assurance qui pour l’heure n’est fixé qu’à 91,5 millions d’euros ». Sans commune mesure avec l’hypothèse même la plus basse. Pis, alors que l’ASN a fixé à 10 milliards la mise à niveau en matière de sécurité des centrales, l’opérateur n’a fourni ni plan d’action ni calendrier d’investissement. Selon la députée, les rapports de l’IRSN sont faits pour rappeler EDF à ses obligations, tout en montrant, au fond, qu’un accident nucléaire grave «n’est pas gérable». Message envoyé à ceux qui imaginent que les vrais chiffres sont cachés, comme toujours, alors qu’à l’évidence ce n’est pas le cas : la transparence bien gérée permet l’amélioration du débat démocratique.

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Par Michèle Rivasi

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