La Provence – Génocide arménien: à Erevan, des roses rouges pour la mémoire

Article paru dans La Provence (François Tonneau) du 25 Avril 2015

Des couvertures ont été déposées sur les fauteuils de la tribune officielle. Elles ne sont pas superflues. Après la grêle matinale, le vent grimpant de la plaine d’Erevan sur la colline de Tsitsernakaberd frigorifie les délégations venues d’Europe, du Brésil ou des Émirats. Un à un, les diplomates s’avancent vers le président arménien Serge Sargsian et son épouse puis rejoignent, accompagnés d’une petite fille, une fleur éternelle mauve dans laquelle ils plantent une tulipe jaune. Un peu plus loin, sur les dalles grises surmontant le musée-institut du génocide arménien, où François Hollande se trouve encore, brûle la flamme rappelant le million et demi de victimes de 1915.

Les pas cadencés des militaires, les chants religieux et les airs de doudouk, ce hautbois arménien à la mélopée profonde, offrent à cette matinée encore un peu plus de gravité. « En faisant admettre le génocide à travers le monde, l’Arménie partage enfin son histoire. Ce moment historique va l’aider à se projeter dans son avenir », glisse, sous sa couverture, Michèle Rivasi, seule députée européenne à représenter la France. Derniers à parcourir solennellement la pierre qui les rapproche du mémorial, François Hollande et Vladimir Poutine se donnent l’accolade. Les deux chefs d’État se verront un peu plus tard dans l’après-midi pour évoquer d’autres conflits.

Pour l’heure, ils remettent le manteau et tentent de distinguer le mont Ararat masqué par les nuages. Serge Sargsian, lui, rappelle cette nuit du 24 avril 1915 où 600 intellectuels arméniens ont vu leur vie basculer à Constantinople, arrêtés, torturés, tués. « Ces arrestations ont marqué le début d’une des crises majeures du XXe siècle », martèle le président de la petite République caucasienne. « La langue humaine est incapable de transmettre ce qu’un peuple entier a subi », ajoute-t-il, avant d’évoquer ces « blessures qui saignent quand il y a trop de silence, d’indifférence,de déni. La reconnaissance du génocide est une victoire de la conscience humaine », lance-t-il encore quand, place Taksim à Istanbul, de l’autre côté d’une frontière barbelée, des jeunes gens bravent les interdits pour commémorer ces massacres presque effacés des mémoires turques.

C’est dans ce sens qu’appuiera François Hollande. Là où Vladimir Poutine, très sobre, parlera « d’une tragédie ressentie personnellement par la Russie », tout en tournant son discours contre « la xénophobie, l’antisémitisme et la russophobie », le chef de l’État français s’inscrira dans la philosophie des Lumières. « Je tenais à être présent à Erevan. Je viens dire à nos amis arméniens que nous n’oublierons jamais. » Après avoir rappelé qu’avec la Russie et la Grande-Bretagne, la France s’était indignée dès mai 1915 des rafles à Constantinople, François Hollande estime le « génocide comme une évidence, un fait établi par les historiens. Le travail n’est pas épuisé. L’acte de vérité doit apaiser les vivants. La France lutte contre le négationnisme, l’effacement des preuves ».

Dans la tribune, les applaudissements redoublent. « Vous êtes un grand pays, vous devez être fier », me confie un haut fonctionnaire arménien. À côté, une jeune femme polonaise travaillant au Parlement européen acquiesce. François Hollande ira-t-il jusqu’à trancher en faveur de la pénalisation du négationnisme ? À Marseille, notamment, l’attente est forte. Pour l’heure, le président de la République tourne son regard vers le Moyen-Orient, où une « entreprise d’éradication est à l’oeuvre. La mosaïque des peuples en est la cible ». Les nombreux dignitaires religieux présents, venus de Grèce, de Syrie ou de Chypre, s’agitent sur leurs sièges. Semblent apprécier avant d’écouter la messe dite sur l’esplanade par Karekine II, le Catholicos ou pape arménien. Puis un ultime appel à la paix d’une survivante du génocide tutsi, au Rwanda en 1994.

Tous iront ensuite déposer des roses rouges autour de la flamme. Dans la petite cohue où l’on croise la délégation française, Roger Cukierman, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) fait le parallèle avec la Shoah, considérant « le même traumatisme, la disparition des familles, le vide laissé, le sentiment d’incompréhension, d’injustice. On a vécu ça ». Le musicien André Manoukian, lui, perche ses yeux vers Istanbul et sa « foi dans la jeunesse turque qui prend conscience ». Les chefs d’État fileront ensuite déjeuner au palais présidentiel. Sur la route qui descend vers Erevan, la foule commence à grimper, des fleurs à la main.

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Par Michèle Rivasi

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