La « directive tabac », un cas d’école du lobbying européen (La Croix)

La Croix
11 Septembre 2013
Par Nathalie VANDYSTADT

Au grand dam des partisans d’un texte devant durcir la législation européenne sur les produits du tabac, le Parlement européen a repoussé son vote au 8 octobre. L’influence très forte du lobby du tabac est mise en cause, sachant qu’il reste très peu de temps aux députés européens et aux Vingt-Huit pour se mettre d’accord avant les élections européennes de fin mai 2014.

Les anti-tabac en Europe sont furieux. Le Parlement européen a repoussé au 8 octobre un vote prévu hier et destiné à durcir la législation européenne sur les produits du tabac. Un texte en préparation depuis plusieurs années et proposé en décembre 2012. Il imposerait des avertissements sanitaires assortis de photos chocs, comme des poumons tabagiques, sur 75 % des paquets, recto verso, et interdirait les arômes, comme les cigarettes mentholées, et les longues « slims » ciblant un public féminin. Son objectif: réduire de 2 % le nombre de fumeurs dans l’UE dans un délai de cinq ans, alors que le tabac est associé à 700 000 décès par an dans l’UE.

Les partisans du texte – notamment les associations de santé – n’y voient rien d’autre que la main des cigarettiers. « Cela n’a malheureusement rien d’étonnant, quand on sait que l’industrie du tabac emploie une armée de lobbyistes à Bruxelles. Rien que pour Philip Morris, pas moins de 161 lobbyistes sont actifs au niveau communautaire… dont seulement neuf sont inscrits au registre de la transparence comme travaillant à temps plein dans l’Union européenne! », a dénoncé l’élue d’Europe Écologie Michèle Rivasi.

La saga de la « directive tabac » a commencé en octobre 2012 avec « l’affaire Dalli ». Cette histoire de démission forcée – digne d’un polar – du commissaire maltais John Dalli, chargé de la santé, soupçonné par les autorités anti-fraude de l’UE d’un conflit d’intérêts avec le « snus », un tabac à sucer interdit dans le reste de l’Union. « C’était du torpillage organisé par l’industrie du tabac pour gagner du temps. Ils excellent en la matière », tranche un observateur de l’affaire.

Ces chiffres des lobbyistes de Philip Morris, révélés par le Guardian il y a quelques jours, ont fait le tour de Bruxelles. Comme d’autres qu’a pu obtenir le quotidien britannique: entre janvier et juin 2012, les lobbyistes de Philip Morris auraient dépensé 1,48 million d’euros pour leurs réunions avec des eurodéputés. Le fabricant américain n’a pas confirmé, mais seulement affirmé qu’il serait « irresponsable » de ne pas informer les décideurs européens de l’impact du projet sur le secteur.

Concentrés sur la campagne électorale dans leur pays, les chrétiens-démocrates allemands de la CDU, soutenus par des libéraux et des souverainistes britanniques, ont obtenu ce report, au motif que les délais étaient trop courts. Mais leurs détracteurs y voient surtout l’influence d’un eurodéputé conservateur allemand de poids, Klaus-Heiner Lehne, président de la commission des affaires juridiques. Il est accusé par les ONG anti-tabac de conflit d’intérêts de par ses activés de conseiller d’un cabinet d’avocats ayant parmi ses clients Japon Tabacco International (marques Winston, Camel, etc.)

Quant aux eurosceptiques britanniques du parti Ukip, ils sont devenus les meilleurs supporteurs de la cigarette électronique. Et s’opposent à des amendements qui assimileraient ce produit en vogue à un médicament, avec une autorisation de mise sur le marché, au nom du principe de précaution, même si elle devait rester en vente libre. Selon le Guardian, Ukip a bénéficié d’un don de 25 000 livres (30 000 €) de la part des fabricants de cigarettes électroniques.

D’autres ont une relation beaucoup plus émotionnelle avec le tabac, comme le libéral britannique Chris Davies, qui défend la cigarette électronique parce qu’elle aurait pu aider son père, gros fumeur et mort d’un cancer. Mais ces mesures, globalement soutenues par la plupart des États membres, visent à en faire « un produit d’entrée dans le tabagisme », explique un diplomate européen.

Tombés d’accord en juin, malgré les réticences des pays de l’Est producteurs de tabac, les Vingt-Huit ont refusé d’interdire les cigarettes slims et ont réduit de 10 % la taille des avertissements sanitaires. Reste à voir en revanche s’il restera assez de temps pour négocier un accord avec le Parlement, avant le scrutin européen du printemps.

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Par Michèle Rivasi

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