Gaz de schiste: pas si bénéfiques pour l’économie, l’industrie et le climat US (Journal de l’environnement)

Journal de l’environnement
Par Marine Jobert, 13 February 2014, 18:40

C’est avec un marteau que l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) vient de faire exploser, façon puzzle, l’argumentaire selon lequel les gaz et pétrole de schiste seraient en train d’offrir un âge d’or économique aux Etats-Unis, dont l’Europe et la France feraient bien de s’inspirer sous peine de mourir étouffées sous leur balance commerciale. Dans une étude présentée ce 13 février au Parlement à Bruxelles à l’invitation de l’eurodéputée socialiste Catherine Trautmann, l’institut de la rue Saint Guillaume estime en effet que ces hydrocarbures non conventionnels ne changeront pas la donne énergétique, économique et climatique européenne.

La production de gaz naturel et de pétrole US ont certes connu un bond phénoménal: +33% et +52% entre 2005 et 2013, ce qui a permis au pays de fortement diminuer sa dépendance aux importations d’hydrocarbures. Mais cela ne peut être attribué qu’en partie à l’exploitations des non conventionnels: « Une chute de la demande explique en grande partie la diminution du déficit commercial américain », précise l’Iddri, qui l’attribue tant à la récession qu’à l’élévation des critères d’efficacité énergétique et aux changements des individus confrontés à la hausse des prix des hydrocarbures. Même si le prix du gaz a quasiment été divisé par deux, les ménages n’en ont pas profité. D’une part parce que le gaz naturel ne représente qu’un quart du mix énergétique américain et 13% des consommations domestiques, et d’autre part parce que le prix de l’électricité a augmenté de 25% sur la même période.

L’économie américaine dans son ensemble est également peu gagnante: en se fondant sur les projections de production de l’agence statistique du département américain à l’énergie (EIA), et en extrapolant « de façon optimiste » ces tendances, l’Iddri a calculé que le PIB américain enregistrerait un gain de 0,84 point de croissance… entre 2012 et 2035. Les gains en termes d’emplois ne sont pas négligeables (200.000 emplois directs entre 2005 et 2013[1]), mais à relativiser eu égard à la population active nationale (155 millions de personnes).

A qui profite donc la ruée? Indéniablement aux «gazo-intensifs», ces entreprises qui utilisent le gaz naturel comme matière première ou source d’énergie et dont l’activité principale est exposée à la concurrence internationale des industries pétrochimiques. Elles pèsent toutefois d’un poids assez négligeable dans l’économie américaine (1,2% du PIB) et globalement, a calculé l’Iddri, « il n’existe aucune preuve que le gaz de schiste a conduit à une renaissance globale du secteur manufacturier américain ».

L’avantage climatique du gaz naturel est battu en brèche. Car même si certaines industries qui carburent actuellement au charbon pourraient à court terme mettre la clé sous la porte, les hydrocarbures non conventionnels risquent d’enfermer encore un peu plus le pays dans les énergies fossiles.

L’Iddri considère, enfin, que l’Europe ne sera pas en mesure de réitérer, même de loin, la situation américaine. En vrac: le Vieux continent a une connaissance très parcellaire de son sous-sol quand les USA le sondaient depuis plusieurs décennies déjà; les industries pétrolières et para-pétrolières européennes sont des naines à côté de celles qui opèrent outre-Atlantique; les conditions d’accès au sous-sol sont plus compliquées, les contraintes environnementales plus fortes et les oppositions locales virulentes. D’ici 2030-2035, l’Europe pourrait toutefois espérer couvrir de 3 à 10% de ses besoins en gaz, ce qui reviendrait à stabiliser les importations à leur niveau actuel mais n’affranchirait pas les 28 Etats membres de la fixation des tarifs internationaux. Un «complément» à une «stratégie holistique combinant efficacité énergétique, climat et compétitivité», voici comment l’Iddri envisage l’avenir des gaz et pétrole de schiste en Europe.

Ce rapport n’ébranle en rien les objectifs de la mission lancée en juillet dernier par le député socialiste de l’Isère, François Brottes, consacrée à l’impact du gaz de schiste américain sur le marché du gaz et sur l’équilibre de nos systèmes européens de production et de distribution d’énergie. Car la mise sous coton de centrales thermiques[2] est toujours d’actualité, tout comme la tentation, pour certains gazo-intensifs, de délocaliser leurs activités outre-Atlantique, souligne-t-on dans l’entourage du président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale.

La grande absente de tous ces rapports consacrés aux impacts économiques des gaz de schiste, regrette l’économiste Thomas Porcher, c’est l’analyse microéconomique. Il existe pourtant une littérature abondante sur leurs impacts monétaires en termes immobiliers, en matière d’eau potable ou de santé, mais elle n’est jamais exploitée». Les eurodéputés écologistes français Michèle Rivasi et José Bové ont réagi de concert à cette étude: « Les productions de gaz et de pétrole de schiste ont certes bouleversé la géopolitique de l’énergie, mais les retombées pour les consommateurs et l’économie américaine sont bien maigres (…) Cette étude démontre une fois de plus que les études commandées par l’industrie (et réalisées par des cabinets de conseils privés) sur ce sujet participent à la désinformation des décideurs comme des citoyens (…) Les gaz de schiste sont une arnaque énergétique et économique, concentrons nos efforts et nos débats pour une transition énergétique digne des espoirs des citoyens du XXIème siècle ».

[1] Des chiffres à rapprocher des différents rapports de cabinet sur le sujet, dont l’un prévoyait, par exemple, la création de 100.000 emplois en France à horizon 2020.

[2] «Les 10 plus grandes compagnies d’électricité européennes ont annoncé l’arrêt de 38 gigawatts de capacité thermique d’ici 2015. A long terme, environ 40% de la capacité thermique actuelle risque d’être fermée pour des raisons économiques», rappelle une étude du Commissariat général à la stratégie et à la prospective publiée fin janvier.

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Par Michèle Rivasi

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