Gaz de schiste: le peuple bulgare a le droit et le devoir de s’opposer aux permis accordés à Chevron

Tribune publiée dans un quotidien national bulgare avant la visite en Bulgarie.

L’emballement autour des gaz de schiste au Etats-Unis aura mis plus de 10 ans à atteindre notre vieux, mais raisonnable, continent. La France a été le premier pays d’Europe à connaître une mobilisation massive de la population et des politiques, qui a réussi par la voie législative à s’opposer à la fracturation hydraulique…avant même la phase d’exploration. En Bulgarie, Chevron a obtenu des permis d’exploration dans la région de Dobrudzha, une des plus fertiles de Bulgarie. C’est pourquoi je me rendrai en Bulgarie à l’invitation d’Ivaïlo Kalfin le 14 Octobre 2011, afin d’expliquer les raisons du refus français.

Il faut savoir que cet enjeu n’est pas seulement énergétique mais aussi démocratique, sanitaire et environnemental. Pour mieux appréhender cette question, il convient d’abord de comprendre ce que sont les gaz de schiste et quelle est la méthode employée pour les extraire. Ensuite, avant de décider l’exploitation de ces ressources, chaque pays doit organiser un débat public national autour de l’avenir énergétique. L’indépendance énergétique ne doit pas se faire à n’importe quel prix et doit intégrer les enjeux à court et à long terme et le consentement de la population, c’est ça la démocratie. Et les gaz de schiste ne répondent pas à cette logique.

Les gaz de schiste sont des gaz non conventionnels, dénommés ainsi car les techniques d’exploration et d’exploitation diffèrent des techniques habituelles pour récupérer le gaz dit conventionnel. Alors que normalement un simple forage vertical suffit à pomper le gaz situé dans une nappe perméable, les gaz de schiste doivent être extraits d’une poche imperméable. Il s’agit alors de forer à environ 2000 à 3000 mètres de profondeur puis effectuer un forage horizontal accompagné d’une fracturation hydraulique de la roche permettant la libération du gaz enfermé dans des bulles isolées. Et c’est à cet instant que les premiers problèmes apparaissent.

Cette fracturation hydraulique – appelée ‘fracking’ en anglais – passe par l’injection de plusieurs milliers de mètres cubes d’eau (entre 10 000 et 20 000 m3) à très haute pression. Il faut par ailleurs effectuer une dizaine de fracturations par puits afin que l’extraction soit rentable, un important gaspillage d’eau qui affecterait les populations et agriculteurs de Dobrudzha. Je tiens d’ailleurs à rappeler que la fracturation hydraulique est aussi utilisée dans la phase d’exploration.

Mais cette fracturation n’est pas seulement hydraulique puisque 1% des liquides injectés sont des fluides facilitant la fracturation, un véritable cocktail de centaines de produits chimiques cancérigènes et mutagènes. Une fois la roche fracturée, l’eau et le gaz libérés sont remontés à la surface pour être séparés, alors qu’une grande partie des liquides injectés (jusqu’à 50%) restent emprisonnés dans la roche. Qui plus est ce cocktail toxique remonte aussi à la surface avec des extraits de roches radioactives qui restaient jusque là en profondeur.

Lors de la remontée du gaz et de l’eau par le puits de forage vertical, le premier risque de cette technologie fait alors son apparition. Des imperfections dans la construction du puits peuvent mener à des fuites des fluides remontant avec le gaz, contaminant ainsi les nappes phréatiques. C’est le documentaire ‘Gasland’, au succès mondial et primé à de nombreuses reprises, qui a dévoilé les ravages des gaz de schiste aux Etats-Unis. Dans la scène culte de ce film, on voit une personne résidant à proximité d’un puits de forage enflammer l’eau qui sort du robinet de sa cuisine, polluée par le gaz et les produits chimiques. Le mal est fait, la nappe phréatique où il puise son eau est contaminée, c’est irréversible : les habitants se font alors livrer de l’eau en bouteille en guise de dédommagement.

Malheureusement, cette pollution n’est pas le seul problème qu’engendre l’extraction des gaz de schiste. Ce ne sont pas des pipelines qui acheminent le gaz, mais une centaine de camions qui doivent accéder au puits pour apporter l’eau puis transporter les effluents qui sortent des puits, source de nuisances nombreuses pour les riverains. Une fois les liquides remontés à la surface et le gaz extrait, les effluents sont exposés à l’air libre dans des bassins de décantation : tous les polluants extraits s’évaporent alors et contaminent l’air ambiant. Aux Etats-Unis on a remarqué à proximité des puits que la population souffrait de nouveaux problèmes sanitaires, dermatologiques ou même respiratoires. On a même retrouvé du bétail mort suite à une intoxication liée à la consommation d’eau à proximité des forages. Pour parer à cela, l’industrie dit vouloir utiliser les stations d’épuration. Mais voilà, les stations d’épuration ne sont pas capables de traiter de tels polluants (entre autres les éléments radioactifs), et les ingénieurs et biologistes américains, spécialistes du traitement de l’eau, ont adressé une pétition en ce sens au Congrès.

Enfin, rappelons que l’exploitation des gaz de schiste suppose d’implanter des tours de forage tous les 200 à 500 mètres, ce qui mènera à la défiguration des paysages voire à l’expropriation de terres agricoles. Aux Etats-Unis certains Etats concentrent des dizaines de milliers de tours de forage.

La France n’est pas le seul pays où la contestation grandit. En Europe, l’Allemagne, la Belgique, la Hollande, l’Espagne, l’Angleterre, la Suède font déjà partie des pays où les citoyens se mobilisent et demandent des comptes, tant à leur gouvernement qu’aux industries gazières. Aux Etats-Unis, qui sont pourtant le berceau des gaz de schiste, l’Etat de New York a mis en place un moratoire sur les gaz de schiste. L’Etat abritant la plus forte concentration urbaine des Etats-Unis ne souhaite pas que les nappes phréatiques alimentant les réservoirs d’eau potable soient contaminées par l’exploitation des gaz de schiste. Cette décision de moratoire d’un an a été reconduite une année de plus, en attendant les résultats d’une longue enquête menée par l’Agence américain e de l’environnement (EPA) qui devrait être rendue publique début 2012. Par ailleurs, de nombreuses études et rapports ont été publiées afin de déterminer le nombre, la nature et les impacts des produits chimiques employés lors du ‘fracking’. Celles-ci sont loin d’être rassurantes.

Mais revenons en France pour vous expliquer les raisons légitimes de la contestation.

Tout d’abord, le manque de transparence propre aux grandes compagnies exploitant les ressources fossiles. Alors que l’on n’avait encore pas entendu parler de ces fameux gaz de schiste, nous apprenions que des permis d’exploration avaient été attribués en catimini par l’Etat. Intolérable. La vigilance citoyenne a permis de mettre au grand jour des permis situés sur les terres électorales d’élus locaux ébahis de ne pas l’avoir appris autrement que par voie de presse. Inédit. Ceux-ci furent incapables de répondre aux inquiétudes des citoyens alertés par les dommages de la fracturation hydraulique. Malaise. C’est grâce au retentissement français que l’UE a commencé à douter et que les autres pays ont entendu parler des gaz de schiste.

La principale raison de cette opacité est la procédure d’attribution des permis elle-même. Il faut savoir qu’aux Etats Unis, contrairement à la France, le propriétaire du sol est aussi propriétaire du sous-sol…ce qui facilite l’acceptation de la population moyennant quelques milliers de dollars. En pleine crise économique, qui refuserait ? En Europe, généralement, ce sont les Etats qui sont propriétaires du sous sol, et peuvent y accéder suite à une procédure d’expropriation et d’une enquête d’utilité publique. En cas de problème, les citoyens vivant à proximité des forages n’auront de dédommagement financier que si, et seulement si, l’Etat et les compagnies gazières acceptent de bien vouloir reconnaître un quelconque préjudice, ce qui n’a encore jamais été le cas. Pour éviter une catastrophe écologique et sanitaire, les citoyens ont donc fait pression pour interdire la fracturation hydraulique, seule technique possible pour extraire les gaz de schiste. C’est chose faite.

La révolution des gaz de schiste aux Etats-Unis est difficilement transposable à d’autres pays. L’ensemble des conditions nécessaires au développement de cette nouvelle ressource non-conventionnelle sont nombreuses. Pour extraire les gaz de schiste, il faut maîtriser la technologie controversée dite de fracturation hydraulique, technologie seulement maîtrisée par des compagnies américaines: desserrer l’étau de Gazprom ne doit pas mener à tomber sous l’emprise de Chevron. Ensuite, il faut une géologie favorable et bien analysée, un code minier adapté, un contexte réglementaire correspondant aux attentes de l’industrie gazière, mais aussi et surtout une évolution positive des prix du gaz. Aussi, il faut accepter de sacrifier notre patrimoine naturel, nos paysages et la qualité de notre eau, source de vie bien plus importante que le gaz.

Enfin, il faut se décider à accepter de prolonger notre addiction aux énergies fossiles, dont les prix ne seront amenés qu’à augmenter et dont les émissions de gaz à effet de serre risquent de compromettre le développement durable de notre monde en tension permanente à cause de cette guerre économique – et parfois bien réelle – de l’énergie. Des solutions énergétiques renouvelables et durables existent, mais c’est un choix politique que ne semble pas avoir pris le gouvernement bulgare actuel.

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Par Michèle Rivasi

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