Espionnage – Ecartée de la loi Macron, la protection des secrets d’affaires revient par la porte de l’UE

Artircle paru dans L’Opinion le 24 Mars 2015.

Face à l’arrivée d’une proposition de directive devant le Parlement européen, la mobilisation grandit pour défendre la liberté d’expression et les lanceurs d’alerte.

Une proposition de directive, visant à protéger les savoir-faire et les informations commerciales confidentielles, arrive devant le Parlement européen. Des amendements peuvent être déposés jusqu’à la fin de la semaine. Le Conseil avait trouvé un accord, défendu par la France, dès le mois de mai 2014.

Isabelle Marchais (à Bruxelles)

L’Europe pourrait bientôt offrir aux entreprises françaises ce que le projet de loi Macron n’a pas réussi à leur accorder : une véritable protection juridique de leurs secrets d’affaires contre l’espionnage industriel. Une proposition en ce sens avait été déposée en novembre 2013 par la Commission Barroso. L’objectif étant d’empêcher l’obtention, l’utilisation et la divulgation illicites d’informations commerciales et de savoir-faire confidentiels grâce à une définition et à des règles communes au sein des Vingts-Huit, prévoyant en particulier des voies de recours et un dédommagement au civil. Un accord, assorti de plusieurs modifications, a été trouvé en mai 2014 au sein du Conseil. La France, représentée par l’ancien ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, avait salué la valeur ajoutée du texte, important pour l’innovation. Mis de côté après les élections européennes, le dossier est maintenant sur la table du Parlement européen et de sa rapporteure, l’UMP Constance Le Grip.

Les secrets d’affaires sont utilisés par les entreprises de toutes tailles, dans tous les secteurs économiques, pour protéger des informations aussi variées que le procédé de fabrication des pneus, la recette d’un flan pâtissier portugais ou les composants chimiques d’une crème. Particulièrement importants pour les PME, qui manquent souvent de moyens, matériels et humains, pour déposer des brevets, ils doivent être protégés par la loi dès lors qu’ils sont acquis ou utilisés de manière illicite, y compris dans des pays tiers. Selon une étude de la Commission, une entreprise sur cinq a été victime d’au moins une tentative de vol de ses secrets d’affaires au cours des dix dernières années, et ces chiffres ne cessent d’augmenter. Pourtant, la situation juridique varie fortement d’un pays européen à l’autre. Certains, comme l’Allemagne, la Finlande, la Grèce ou l’Espagne, ont déjà pris des mesures, contrairement à des pays comme la Belgique, l’Irlande ou le Royaume-Uni.

De son côté, le gouvernement Valls a renoncé, fin janvier, à légiférer dans l’immédiat sur le secret des affaires ; face à la mobilisation des journalistes, vent debout contre un texte qui risquait selon eux de porter atteinte à la liberté de la presse et à celle des lanceurs d’alerte, les articles qui devaient être intégrés au « projet de loi Macron » ont été écartés. Le message a été entendu par Constance Le Grip qui, dans son projet de rapport, essaie de concilier au mieux protection des secrets d’affaires d’un côté, liberté d’information et d’expression, pluralisme des médias, protection des sources et des lanceurs d’alerte de l’autre. « Il est utile de préciser que cette directive ne doit pas remettre en cause en droit ou dans les faits la possibilité pour les journalistes de travailler, ou pour toute personne d’exercer sa liberté d’expression, dans des conditions sûres juridiquement », explique la rapporteure.

Inquiétudes. Mais certains députés ne cachent pas leur inquiétude et veulent éviter toute remise en cause de la liberté d’information et d’expression au nom de la protection des secrets d’affaires. Début mars, la vice-présidente du groupe des Verts Michèle Rivasi a ainsi lancé une vaste campagne sur Twitter pour mettre en garde contre les conséquences potentielles pour les lanceurs d’alerte et les journalistes. Certaines entreprises, évoluant dans des secteurs sensibles comme la santé, l’environnement ou la sécurité alimentaire, pourraient être tentées d’utiliser les nouvelles dispositions pour se soustraire à leurs obligations de transparence. D’autres acteurs, politiques et ONG, s’inquiètent des conséquences qu’une telle directive pourrait avoir sur la mobilité des travailleurs, lesquels pourraient hésiter à travailler dans le même domaine que leur précédent employeur. Mais le sujet relève davantage des dispositions de chaque pays en matière de contrats de travail. « L’expérience montre qu’il n’y a jamais eu de problèmes de cet ordre dans les pays qui ont légiféré », estime Constance Le Grip.

Les eurodéputés ont jusqu’à jeudi pour déposer leurs amendements, qui s’annoncent d’ores et déjà très nombreux sur les questions les plus sensibles. Plusieurs semaines seront ensuite nécessaires pour rapprocher les positions et rédiger des amendements de compromis. Un nouvel échange de vues est programmé le 16 avril. Le vote en commission des affaires juridiques pourrait avoir lieu en mai. Mais rien n’est encore sûr. « Cela va dépendre du climat politique », reconnaît la rapporteure, impatiente d’y voir plus clair dans les intentions de ses collègues.

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Par Michèle Rivasi

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